Danièle Lochak, ancienne présidente du GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), revient sur la question des migrants.


« Migrants », « réfugiés » : certains tentent de faire la distinction entre les femmes, les hommes et les enfants qui tentent de franchir les frontières de l’Europe, entre ceux qui fuient la guerre et ceux qui ne seraient motivés que par des raisons économiques : est-ce pertinent ? 
 
Oui et non. La distinction entre migrants et réfugiés a a priori un sens, puisque seuls les seconds sont clairement protégés par des textes internationaux qui créent des obligations pour les États. Mais elle est néanmoins contestable, pour plusieurs raisons. D’abord, les barrières qu’on a placées sur la route des « migrants », toutes catégories confondues, ne se sont pas embarrassées jusqu’à présent de ces distinguos : la fermeture des frontières, que ce soit la fermeture juridique avec la politique des visas ou l’interception en mer type Frontex, a joué contre les demandeurs d’asile aussi bien que contre les migrants économiques. Ensuite, si, dans le cas des Syriens, les menaces qui pèsent sur leur vie et leur liberté sont le moteur exclusif de leur fuite, dans d’autres cas les raisons qui poussent au départ sont multiples et cumulatives : la misère, l’absence de perspectives, la répression politique. Enfin, si nous revendiquons aujourd’hui la liberté de circulation, c’est parce que nous refusons de distinguer entre « bons » réfugiés et « mauvais » migrants économiques et dénonçons une politique meurtrière, au demeurant vouée à l’échec, fondée sur la discrimination entre ceux et celles qui, nés au bon endroit de la planète, ont le droit de circuler partout dans le monde, et les autres.

Des propositions incluant un « mécanisme obligatoire d’accueil » ont été lancées par la France et l’Allemagne : vont-elles dans le bon sens ?

Le discours est trompeur. Le dispositif proposé s’inscrit dans la logique de mise à distance des demandeurs d’asile potentiels. On parle de « hotspots », c’est à dire de centres de tri pour décider dès l’arrivée qui est éligible à une protection et de renvoyer aussitôt ceux qui ne le sont pas. On parle de coopération avec des pays non européens, mais c’est soit pour les inciter à « réadmettre » sans difficulté les expulsés d’Europe, soit pour installer sur leur territoire (au Niger, en Ethiopie, au Mali) des centres d’accueil et de rétention « délocalisés ». On parle de lutte contre les passeurs, alors que c’est la fermeture de toutes les voies légales d’accès au territoire qui jette les migrants entre leurs mains.

On assiste dans certains pays à une montée de la xénophobie, à des manifestations anti-migrants, mais aussi heureusement à des expressions de solidarité : Y a-t-il un risque pour la cohésion sociale en Europe ou même en France ?

Il faut surtout insister ici sur la responsabilité de nos gouvernants qui cultivent depuis trente ans la crainte du « risque migratoire » et ont l’indécence d’invoquer ensuite l’état de l’opinion publique pour ne rien faire ou, pire encore, pour mener en notre nom une politique intolérable. L’exemple de l’Allemagne illustre bien comment on peut transformer ce cercle vicieux en cercle vertueux : la solidarité en actes et le discours de Merkel se confortent mutuellement pour déboucher sur une politique généreuse d’accueil des réfugiés (mais d’eux seulement…).