Le 4 décembre 2014, les agents des trois versants de la fonction publique vont élire leurs représentants syndicaux aux 22 000 instances de concertation de la fonction publique que sont les comités techniques, les commissions administratives paritaires, les commissions consultatives paritaires, les comités techniques d’établissement. Après un point sur ce scrutin, AEF publie chaque jour depuis le vendredi 21 novembre 2014 l’interview des responsables des fédérations représentatives de la fonction publique (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FA-FP pour la territoriale, FSU, FO, Unsa et Solidaires). Aujourd’hui, Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU, 5e organisation sur les trois versants avec 8,2 % des voix, derrière la CGT (25,4 %), la CFDT (19,1 %), FO (18,1 %) et l’Unsa (9,3 %). À l’État, la FSU a reculé en 2011 à la 2e place derrière FO (16,6 %) avec 15,8 % des voix.


Bernadette Groison : Ces élections sont un rendez-vous avec les fonctionnaires. C’est une grande opportunité pour débattre avec eux de leurs métiers, de leurs conditions de travail, de la manière dont ils voient leur carrière et les missions qu’ils exercent. C’est ensuite une opportunité pour parler de la fonction publique dans une période où celle-ci est malmenée par un discours ambiant de remise en cause, ce que l’on appelle le « fonctionnaires bashing » à travers notre ouvrage sur les idées fausses sur la fonction publique.

Il ne se passe pas une semaine sans qu’il y ait des déclarations d’un ex-président, d’un responsable politique ou un rapport, comme dernièrement le rapport Tourret. Et l’on revient toujours sur les mêmes vieilles recettes qui rencontrent dans l’opinion un certain écho, sur le temps de travail, les rémunérations, l’efficacité, la journée de carence, l’introduction d’une part de droit privé dans le droit public. Je rêve d’un rapport parlementaire ou de propos d’un responsable politique qui nous ouvre des perspectives nouvelles. On nous reproche une fonction publique poussiéreuse, qui ne veut pas se réformer, et tout ce que l’on entend, ce sont des idées qui ont 20 à 30 ans d’existence, des mesures qui ont déjà été essayées et dont on a vu qu’elles ne fonctionnaient pas.

Ce climat fragilise la fonction publique mais aussi les fonctionnaires. Pour la FSU qui ne se positionne que sur la fonction publique, ce n’est pas supportable. C’est l’engagement professionnel des agents et leur attachement aux services publics qui a permis de faire face à des manques de moyens, des politiques publiques mal ciblées, à une crise qui s’accentue et qui fragilise les populations. N’oublions pas que la fonction publique est en première ligne face à ces populations. Il y a donc une forme d’injustice à les rendre responsables de ces dysfonctionnements et à les accuser d’être des privilégiés. Ces élections sont l’occasion de rétablir la justice. Cette période de crise devrait permettre de parler plus et mieux de la fonction publique et de sa place comme un partenaire incontournable dans la sortie de crise et des mutations et réformes des politiques publiques qui se dessinent.

Or le gouvernement est très décevant à cet égard. Il ne répond jamais aux attaques faites à l’encontre des fonctionnaires. Nous avons une ministre de la Fonction publique qui s’exprime et c’est une bonne chose. Mais elle semble un peu seule. On nous avait promis que l’installation du Conseil national des services publics serait l’occasion pour le gouvernement d’avoir un message fort pour la fonction publique. Cela n’a pas été le cas. À l’inverse, le gouvernement a donné un appui public aux entreprises lors de l’université d’été du Medef. Nous lui reprochons de ne pas avoir les mêmes convictions et le même attachement à la fonction publique alors que celle-ci est remise en cause, au-delà des secteurs prioritaires (éducation, justice) qui ne peuvent pas faire office de solde de tout compte.

AEF : Quels sont pour vous les principaux enjeux de ce scrutin ?

Bernadette Groison : Ces élections sont un rendez-vous sur le syndicalisme. Cinq millions d’agents vont élire pour 4 ans des représentants du personnel. C’est important, avec un gouvernement qui a eu comme carte de visite la volonté de réhabiliter le dialogue social. Comment ça marche ? À quoi servent les instances représentatives du personnel ? Où sont les instances ? Quel est leur rôle ? C’est l’occasion de redire comment tout cela fonctionne.

Cela va surtout être aussi la mesure de la représentativité des organisations syndicales. C’est un rendez-vous que personne ne doit ni négliger ni rater. C’est là où je m’inquiète de voir que le gouvernement ne s’engage pas plus dans une campagne de communication. Dans la période actuelle de tensions sociales, une grille va être donnée de ce que pèsent les organisations syndicales dans les trois versants de la fonction publique. Nous concernant, la FSU est engagée pour reconquérir sa première place dans la fonction publique de l’État, perdue de peu en 2011 à cause du vote électronique dans l’Éducation nationale, qui pèse près de 1/5 des effectifs de l’ensemble de la fonction publique.

AEF : Le fait que les agents des trois fonctions publiques votent ensemble pour la première fois va-t-il selon vous favoriser la mobilisation ?

Bernadette Groison : À ce jour, encore peu d’agents se sont inscrits (1). Mais logiquement, cela devrait être le cas. Il faut les convaincre. La fonction publique est à la fois malmenée mais on en attend beaucoup. Il y a un décalage entre l’attachement des Français aux services publics et le fait qu’ils soient prompts à les dénigrer quand ils rencontrent des difficultés en cas de dysfonctionnements. Or ces dysfonctionnements ne doivent pas être l’occasion de jeter le bébé avec l’eau du bain, d’aucuns y voyant à chaque fois des opportunités pour installer des services privés, mais plutôt d’étudier des pistes d’amélioration.

Mais ce qui s’est passé aux élections politiques, avec un fort taux d’abstention, peut également se produire dans le milieu professionnel. Nous redoutons donc le trop peu de participation des agents. Je crains que face à cette offensive, les agents aient les mêmes doutes dans leur rapport au vote que lors de scrutins politiques : qui les défend, qui a vraiment un projet, à quoi servent ces élections ? Alors que ces élections devraient être l’occasion de débattre de la façon de faire vivre notre modèle social.

J’espère par conséquent que le gouvernement va s’exprimer avec force pour ces élections puisque c’est la première fois que les trois versants votent ensemble, soit plus de 5 millions d’agents. Ce doit donc être un événement majeur.

AEF : Le contexte actuel de contraintes budgétaires (gel du point…) et de réformes (territoriale, État, avenir de la fonction publique) va-t-il influencer les votes ?

Bernadette Groison : Nous pensons que ces élections sont l’occasion de redresser la tête face à la campagne actuelle contre les fonctionnaires. Les agents savent ce qu’ils font et n’ont pas à en douter. Nous sommes toujours sur le thème de la campagne menée il y a trois ans : « Fiers du service public ». Ces élections doivent être l’occasion pour les agents de conforter un modèle social digne du XXIe siècle, de dire que la fonction publique compte et est incontournable.

Si le taux de participation est fort, cela aura du sens sur ce que doit être la fonction publique et sur ce que doit faire le gouvernement. Si les agents vont voter massivement, les négociations PPCR (parcours professionnels, carrières, rémunérations), celles sur la valeur du point d’indice et toutes les restructurations de services en cours (revue des missions de l’État, réforme de l’organisation territoriale) ne se dérouleront pas dans les mêmes conditions et nous pèserons plus face au gouvernement. Au travers de ces élections, c’est donc aux collègues de prendre les choses en mains et de se faire entendre. Ces élections sont un acte militant et peuvent faire autant d’effet qu’une mobilisation nationale.

AEF : Selon vous, le rôle des organisations syndicales dans la fonction publique doit-il évoluer ?

Bernadette Groison : On traverse une vraie crise de société, où les représentations et les repères sont diffus, confus. Nous sommes dans une période charnière où nous devons réinventer la société. La crise sera suivie de mutations en profondeur de la société sur les valeurs, l’organisation sociale, la place des entreprises et des services. Dans ce contexte, nos principes et nos valeurs sont percutés mais il faut tenir bon. Toutefois, il faut être en capacité de les faire vivre dans la société actuelle. C’est le défi que doit relever le syndicalisme : ne rien lâcher sur les principes d’intérêt général, de cohésion sociale mais il faut regarder comment les faire évoluer et faire preuve d’innovation. Ce qui n’est pas facile dans la période actuelle qui n’offre pas de perspectives.

Tout est vu aujourd’hui par le prisme du court terme, des coûts et jamais en termes de projets de société. Cela est réducteur et ne permet pas d’avoir une réflexion moderne, offensive. Il y a une tension entre une société qui est en train de changer et un système politique tétanisé. Une des difficultés est aussi que le mouvement syndical est incapable de se parler. Les organisations syndicales doivent être en capacité de faire des propositions sur le fonctionnement de la fonction publique, l’architecture statutaire, la mobilité, de nouvelles missions. Comment se sert-on de la fonction publique pour préparer les mutations à venir ? Comment fait-on de la refondation de l’école une grande loi sur l’éducation à même de donner une qualification à tous les jeunes ? Comment fait-on de l’agriculture et de l’écologie des services publics qui vont compter dans la conférence environnementale ? À quel modèle de production agricole devons-nous former les jeunes agriculteurs ? Nous n’arrivons pas à avoir ces débats. Contrairement à ce que l’on peut parfois nous reprocher, nous faisons donc des propositions sur des sujets de fonds.

Mais pour le faire bien, nous devons à certains moments le faire ensemble. La responsabilité du mouvement syndical est aujourd’hui d’envoyer le message aux salariés qu’il est en capacité, malgré ses divergences, de se parler. Nous y arrivons régulièrement dans la fonction publique mais pas au niveau interprofessionnel. Si l’on ne prend pas cette responsabilité, les salariés ne peuvent pas nous regarder comme des forces utiles. L’enjeu est là.

(1) Interview réalisée le 10 novembre 2014.

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