Dans quel état est la fonction publique aujourd’hui ?

La situation est assez critique. Les fonctionnaires ont le sentiment de passer pour des boucs émissaires de la crise alors qu’ils en sont les victimes. Ce phénomène n’est certes pas nouveau, on l’a connu lors des crises de 1885,ou de 1930 .
Mais aujourd’hui, la situation économique dégradée a des conséquences sur la situation professionnelle des agents : ils subissent de plus en plus d’agressions, leurs conditions de travail se détériorent sous l’effet de la diminution des effectifs et l’augmentation de la demande de la part des usagers, il y a même des suicides…

Notre fonction publique est accusée d’être coûteuse…

Si on calcule en termes de coûts par rapport au PIB, notre pays se situe dans la moyenne des pays européens et en-dessous des pays scandinaves par exemple. La France n’est pas un pays sur-administré. Les effectifs de l’Etat ont diminué ; ils ont un peu augmenté dans la territoriale mais essentiellement par les transferts de missions et ce sont, du plus, en grande partie des contractuels. Bien sûr, cela coûte, mais c’est le prix à payer pour un certain modèle social. Par ailleurs, on commettrait une erreur en voulant s’aligner sur le modèle privé. Le fonctionnaire n’est pas un salarié comme les autres, car il est dépositaire d’une partie de l’autorité publique, il n’est pas dans une relation marchande dans le service qu’il offre, il n’a pas le choix du patient dans les hôpitaux ou de l’élève dans les établissements scolaires. La légitimité du service public, ce n’est pas son coût, mais on efficacité sociale dans un contexte politique donné.

… et aussi peu efficace ?

Les enquêtes internationales, la Banque Mondiale situe la France dans le haut du classement pour le service rendu aux usagers. Car il y a les usagers particuliers, les citoyens, mais aussi les usagers industriels, les entreprises… Eux aussi bénéficient des services publics. Réduire ces derniers, c’est aussi mettre à mal notre compétitivité.

Quelles ont été les conséquences des dernières réformes ?

Avec la réforme de l’Etat de 2007 – mais qui a commencé en 1995 avec Alain Juppé -, on a le sentiment que l’on va vers une fonction publique à deux vitesses. La vision néolibérale visait à ouvrir les carrières, ce qui ne déplait pas forcément, mais la RGPP a été rapidement contrôlée par les grands corps de l’Etat, il y a eu peu d’évolution dans les recrutements, de diversification, et on a surtout renforcé les défauts du système. Les « plafonds de verre » qui interdisent la mobilité sont toujours là, et l’unité de la fonction publique a été mise à mal.

Quelles seraient les évolutions souhaitables ?

Une première piste concerne le recrutement. Il faut réfléchir à une modification des concours. On gâche des talents actuellement, on a certes eu un peu de diversifications dans certains corps, mais il faut aller plus loin, par exemple dans la reconnaissance des acquis de l’expérience. D’une manière générale, il faudrait retrouver le modèle qui permettait de démarrer une carrière en bas de l’échelle et de la terminer en haut. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, car les corps sont encore très cloisonnés.
La deuxième piste vise à améliorer la mobilité professionnelle, supprimer ces fameux plafonds de verre, ne pas multiplier les concours ou les quasi-concours pour les changements de grade. Il faudrait bien sûr allonger la plage indiciaire. Et puis protéger mieux les fonctionnaires du politique, par exemple en supprimant le « tour extérieur ».
La troisième piste que je suggère concerne la haute fonction publique. Quel modèle pour nos grandes écoles ? Former des fonctionnaires ou des élites polyvalentes qui iront monnayer leur talent dans le privé ? Si nous n’avons pas, au sommet de la hiérarchie, un service public exemplaire, on aura du mal à convaincre et entraîner la masse des fonctionnaires.