Professeure de sociologie à l’université de Cergy-Pontoise, Nathalie Mons consacre ses recherches à l’évaluation des politiques éducatives dans une perspective comparatiste internationale. Experte pour la Commission européenne et l’OCDE, elle a copiloté la concertation pour la refondation de l’École de la République en 2012.
Elle est actuellement présidente du CNESCO (Conseil national d’évaluation du système scolaire).


Les premières mesures de la loi d’orientation, maintenant entrées en application, vont-elles dans le sens d’une refondation de l’école ?

Oui, le mouvement est bien lancé, même si son ressenti dans les classes au quotidien est décalé puisque nous n’en sommes qu’au début. Les attentes étaient immenses après la très forte dégradation de l’organisation du système scolaire sur les dix dernières années. Le souhait que l’école change rapidement est prégnante et c’est normal mais les réformes en éducation se jouent sur le long terme, comme les apprentissages d’ailleurs. Maintenant il nous faut regarder de très près la mise en œuvre de chacune de ces réformes, car on le sait, tout se joue sur le terrain. Et c’est pour disposer de ce temps long de la mise en œuvre qu’il faut une continuité dans l’action publique en éducation, sinon les acteurs de terrain finissent par tourner le dos aux réformes.

À quoi peut se heurter l’objectif de lutter contre l’échec scolaire ?

L’évolution des pédagogies doit être au cœur des réformes. Dans nombre d’établissements scolaires, des ensei- gnants ont déjà adopté des pédagogies qui permettent une réelle prévention de l’échec, mais au quotidien, la pratique du redoublement demeure un outil très répandu alors que la recherche montre sa faible efficacité sur le long terme. Il faut donc penser collectivement aux nouveaux instruments de lutte contre la difficulté scolaire – notamment le suivi plus individualisé des élèves à travers des pédagogies différenciées ou coopératives. Les dernières données apportées par l’enquête Talis montrent cependant un faible usage de ces pédagogies par les enseignants. En France, 22 % d’entre eux déclarent donner des travaux différents aux élèves qui ont des difficultés d’apprentissage ou à ceux qui peuvent progresser plus vite contre 44 % en moyenne dans les pays de l’enquête Talis. Il demeure donc de fortes disparités dans les pratiques.

Comment alors intégrer les enseignants aux objectifs de la refondation ? Sont-ils suffisamment accompagnés ?

L’accompagnement des enseignants est central. Nous venons de terminer une évaluation sur le terrain des pratiques pédagogiques développées dans le dispositif « Plus de maîtres que de classes ». J’ai été marquée à la fois par la volonté dans les écoles de mettre en place de nouvelles organisations pédagogiques telles que la co-intervention et la demande récurrente de formation continue des enseignants impliqués.
Il y a une volonté farouche chez les enseignants de faire progresser l’école, leurs élèves, il faut que l’institution leur en donne les moyens, notamment en termes de formation continue. Mais elle a fondu comme neige au soleil depuis 20 ans. C’est aujourd’hui le parent pauvre de l’école française.
C’est pourtant un des leviers du changement. Dans l’Éducation, mais aussi plus largement dans les administrations et les entreprises, la France néglige la formation continue, au bénéfice de la seule formation initiale, avec un diplôme qui sert de référence une bonne partie de votre vie, et donc une pression exercée sur l’école qui est immense. Il faut changer notre paradigme de formation.

Vous présidez le tout nouveau conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO). Quel est son rôle ?

Le Cnesco doit faire le lien entre la recherche et l’école pour éclairer les praticiens, les décideurs et les citoyens. Pour ce faire, il conduit des évaluations de l’école indépendantes et scientifiques, comme notre première étude sur le creusement des inégalités scolaires depuis 10 ans. Le Cnesco est aussi chargé de la diffusion des résultats de la recherche pour aider les praticiens et les décideurs nationaux ou locaux à faire progresser leurs pratiques et leurs décisions au quotidien. Nous lançons ainsi, à partir de septembre, une grande conférence de consensus sur le redoublement et ses alternatives. Pour atteindre l’objectif de réduire le redoublement, il faut donner aux équipes les moyens de mettre en place des organisations scolaires alternatives, leur permettre de réfléchir collectivement et organiser la rencontre entre les praticiens et les chercheurs.
Ce sont les praticiens dans les écoles qui vont élaborer à l’automne les questions que l’on se pose au quotidien autour du redoublement et ses alternatives, des chercheurs seront invités à leur répondre lors des séances publiques de cette conférence en janvier.