Madame la ministre, Mesdames et messieurs,

 

Très bonne année à toutes et à tous. En ce début d’année civile, nous sacrifierons bien volontiers au rituel de ces bons vœux, tout en ayant la lucidité de reconnaître que l’exercice n’est pas des plus aisés. Après tout, nous avions déjà formulé ce vœu l’an dernier, qui a ouvert une année faite de coupes budgétaires, des réformes passées en force au mépris de la communauté éducative, de propos dénigrants, de postes non pourvus, de menaces de l’extrême droite sur l’Ecole et ses personnels (mais pas que)….Si les qualificatifs sont difficiles à trouver pour ouvrir cette année, les synonymes, eux, se bousculent au moment de qualifier la situation de l’Ecole publique : crise, point de bascule, effondrement…ce ne sont pas que des mots, nous y reviendrons. Madame, la ministre, vous avez pris vos fonctions dans ce contexte où l’Ecole ne tient plus que par un fil : celui de la conscience professionnelle des personnels. Compter uniquement sur cet engagement pour que vive l’Ecole publique serait d’un cynisme irresponsable.

La FSU tient à exprimer sa solidarité et son soutien à la communauté éducative de Mayotte ainsi qu’à l’ensemble de la population mahoraise touchée par deux immenses catastrophes en très peu de temps. Le quotidien est toujours très difficile : les dégâts reflètent l’intensité du cyclone mais sont aussi le résultat du sous-investissement chronique de l’État français. En effet, Mayotte est le territoire français le plus pauvre et, depuis sa départementalisation, l’État ne s’est pas montré à la hauteur de la solidarité nationale qui aurait dû permettre son développement. Le gouvernement a tardé à prendre la mesure de la crise, certains de ses membres préférant se livrer à une surenchère indigne autour du droit du sol. La FSU le rappelle avec force : l’honneur de l’Ecole de la République est bien d’accueillir tous les élèves sans distinction. Après plusieurs semaines où l’administration s’est arc-boutée sur une date de rentrée, faisant bien souvent fi des réalités humaines et de terrain, votre dernier courrier, Madame la ministre, marque un changement de ton et d’approche appréciable. Au-delà des paroles, il faut des actes rapidement pour aider les personnels (nous attendons toujours des nouvelles d’une aide exceptionnelle pour tous les agents) et pour organiser la rentrée là où les conditions de sécurité des biens et des personnes, matérielles et pédagogiques, sont réunies, et ailleurs, quand ces conditions seront réunies

Vous êtes la sixième ministre de l’Education nationale depuis 2022. En 2 ans et demi, nous avons vu plus de ministres que de dégel du point d’indice, chacun déterminera quelle partie de la phrase est la plus révélatrice de l’état de l’Ecole. Mais au-delà de cette instabilité, nous avons surtout subi une politique éducative menée sans et même contre les personnels. Cette brutalisation du dialogue social pèse lourd dans la crise que traverse l’Education nationale. Combien de votes en instances niés par vos prédécesseurs, combien de déclarations unanimes méprisées par les derniers ministres et l’administration, combien de réalités parallèles assumées par vos prédécesseurs, celles où il y a un professeur devant chaque classe à la rentrée et où tous les personnels ont été augmenté de 10 % ? Ces pratiques nourrissent l’amertume de nos collègues, mais aussi une forme de désenchantement dangereux. C’est bien la démocratie sociale qui est affaiblie et abîmée par la pratique du pouvoir depuis 2017 et la loi TFP. Le dialogue social, ce n’est pas être d’accord sur tout. Il est même plutôt sain en démocratie que le débat ait lieu, encore faut-il que vous l’acceptiez et que vous acceptiez le fait majoritaire. C’est une des conditions pour que nos collègues et nous-mêmes, en tant que représentant·es élu·es, retrouvions le chemin de la confiance.

²Dans ce contexte, le budget présenté en décembre avait tout d’une ultime provocation. 4000 suppressions de postes, 3 jours de carence, diminution de l’indemnisation des arrêts maladie, absence de revalorisation salariale… la colère des personnels s’est largement exprimée le 5 décembre faisant écho à l’alerte sociale intersyndicale déposée quelques semaines avant. Nos mobilisations ont permis de faire bouger les lignes, de mettre dans le débat public la question de l’état de l’Ecole, et nous saluons l’annulation des 4000 suppressions d’emplois d’enseignants et la création de 2000 emplois d’AESH. Mais nous serons extrêmement attentifs à la traduction dans les faits et le schéma d’emplois que vous allez présenter. Et surtout, au moment où l’Ecole est à un point de bascule, il faudra davantage que cette annonce. La baisse démographique doit cesser d’être instrumentalisée à des fins budgétaires. La création d’emplois d’enseignants doit être permettre d’améliorer les conditions de travail des enseignants et les conditions d’apprentissage des élèves, en profitant de la baisse démographique pour réduire le nombre d’élèves par classe, et se rapprocher de la moyenne des pays de l’OCDE, alors même que dans le 1er degré, la France bat toujours le triste record des classes les plus chargées des 22 pays de l’Union européenne membres de l’OCDE. Dans le second degré, pour retrouver le taux d’encadrement de 2017, il faudrait 10 611 emplois ! Il est donc indispensable de sortir d’une vision de court terme, les yeux rivés sur la calculatrice et d’engager une loi de programmation pluriannuelle de créations d’emplois et de recrutement. Le premier ministre a reconnu lui-même que les enseignants étaient mal payés et      « qu’il y a un gros travail à faire sur l’attractivité ». Pour de nombreux corps, le constat est identique : sous-payés, sous-dotés, sous-formés, avec des évolutions de carrière quasi inexistantes ou plus que discutables. Notre ministère doit-il se contenter d’être à la pointe uniquement en matière de risques psychosociaux, qui augmentent de façon alarmante ? La FSU porte depuis plusieurs années ses exigences pour une revalorisation sans contreparties des salaires (ce qui implique l’abandon du Pacte) et des carrières. Sur la question des rémunérations, il est aussi indispensable de s’engager rapidement dans une loi de programmation pluriannuelle. L’instabilité politique ne doit pas être un frein à cette démarche qui doit permettre d’ancrer dans la durée les décisions indispensables pour reconstruire le service public d’Education.

La force de notre Ecole, ce sont ses équipes pluriprofessionnelles. Tous les métiers doivent être considérés. Dans les services et établissements scolaires, les conditions de travail des personnels administratifs et ITRF se sont largement dégradées. Du fait des suppressions d’emplois du passé évidemment (près de 20% des emplois de la filière ont été supprimés entre 2007 et 2022) mais aussi du fait de l’augmentation des charges et des missions nouvelles. Notre revendication de recréations d’emplois administratifs et d’ITRF s’oppose chaque année à vos schémas d’emplois en la matière : ceux-ci n’ont pour effet que de répartir – de façon plutôt cynique – la pénurie ! De transfert d’emplois d’un programme à l’autre, d’une académie à une autre, ils contribuent à maintenir les personnels concerné.es dans un contexte professionnel sous tension, parfois extrême. C’est inacceptable et nous attendons des engagements de votre part alors que la situation de sous-administration de notre ministère s’est amplifiée ; elle est d’ailleurs largement objectivée par un récent rapport sénatorial datant de mai dernier.

Qu’allez-vous répondre, Madame la Ministre, aux infirmières, assistantes de service social et psychologues qui n’ont pas les moyens de faire face à l’explosion des besoins des élèves ? La FSU s’opposera fermement à une énième réforme qui, à moyens constants, ne ferait qu’accentuer le saupoudrage de leurs missions, la souffrance et la fuite des professionnels, et, in fine, creusera davantage les inégalités scolaires.

Alors qu’en 2025, nous fêterons les 20 ans de la loi sur le handicap, force est de constater que le défi éducatif de l’inclusion n’est pas au rendez-vous. Au contraire, le démantèlement des Rased, l’empilement des textes et des structures camouflent mal une stratégie de redéploiement de moyens, une inclusion au forceps sans l’encadrement humain suffisant, sans formation ni accompagnement des personnels. Cet abandon en première ligne des personnels enseignant·es et des AESH confrontés à une mission nouvelle et complexe fait des dégâts. Madame la ministre, vous avez dit « entendre les revendications des AESH » mobilisées hier, à l’appel d’une large intersyndicale. Les AESH, attendent toujours des engagements forts pour améliorer leurs conditions d’emploi et bénéficier d’une meilleure reconnaissance professionnelle. Il est urgent que le ministère engage des mesures pour en finir avec la précarité.

Le service public d’Education traverse une crise profonde, reproduisant davantage les inégalités qu’elle ne les combat en dépit de l’investissement sans faille de nos collègues. Plusieurs réformes imposées ces dernières années ont malmené nos métiers et tourné le dos aux ambitions d’une école émancipatrice qui fait grandir les élèves ensemble. Dans le premier degré, les nouveaux programmes, la labellisation des manuels ou encore les évaluations standardisées nient l’expertise professionnelle et la liberté pédagogique des professeurs des écoles et engagent la mise au pas des pratiques enseignantes. Dans le second degré, comme nous l’avons montré dans plusieurs enquêtes, les groupes de niveaux malmènent les élèves et les professeurs qui témoignent, de plus en plus fréquemment d’une profonde perte de sens de leurs métiers. Après la décision du conseil d’État en décembre dernier, annulant les textes relatifs à l’organisation des groupes de niveaux, toute présentation de nouveaux textes rétablissant ces groupes serait une provocation. La rentrée doit se préparer sans groupe de niveau en 6ème, 5ème, 4ème et 3ème et avec le retour du groupe classe sur la totalité de l’horaire. Nous demandons que des moyens soient réaffectés pour diminuer les effectifs par classe, pour rétablir les dédoublements, les options supprimées, l’heure de technologie en Sixième. Vous avez parlé de                  «  dispositifs d’approfondissement » en 4ème/3ème, quelle différence avec le dispositif prévu ?

Nous avons d’ailleurs bien écouté le Premier ministre mardi et lorsqu’il affirme «C’est le plus grand de nos échecs… Vouloir sélectionner précocement sans qu’aient mûri l’esprit et les attentes je pense que c’est une erreur.. Dans notre système il faut que puissent être acceptées les réorientations. Parcoursup est une question », nous y lisons la condamnation de toute sélection des élèves, au collège (via les groupes ou le DNB couperet) comme au lycée et dans l’accès au supérieur. C’est pourquoi nous renouvelons, avec force, notre demande : abandonnez toutes les mesures du « Choc des savoirs » (pas seulement le DNB couperet comme vous l’annoncez), symbole d’un projet passéiste et conservateur.

L’enseignement professionnel est aussi bien malmené malgré votre communication qui voudrait faire croire le contraire. Le choix a été fait de supprimer 95 postes au concours de CAPLP, ce qui s’ajoute  aux suppressions précédentes et à une réforme du lycée pro brutale pour les élèves et les personnels. Pour la FSU, il est toujours temps de revenir sur l’organisation de l’année de Terminale bac pro et ainsi ne pas supprimer encore de l’école aux élèves des lycées pros qui sont parmi les plus fragiles scolairement et économiquement et qui ont donc besoin de temps d’Ecole. Alors que plus d’élèves sont attendu·es les cartes des formations pour la rentrée 2025 ne proposent que rarement un nombre de places supplémentaires toujours insuffisant, et les ouvertures des quelques CAP ou certificats de spécialisation sont souvent compensés par des fermetures en bac pro ou BTS. Outre le fait que cela soit moins « coûteux », à terme, la FSU dénonce cette volonté de baisser le niveau de qualification global de qualification qui existe.

La dissolution de l’Assemblée nationale en juin dernier et la succession de ministres à la tête du ministère ont ralenti la publication du programme d’EVARS. Pendant ce temps, ce dernier est même instrumentalisé par des forces conservatrices et réactionnaires pour diffuser des paniques morales qui servent leurs intérêts plutôt que ceux de l’Ecole et des élèves. Au vu des enjeux éducatifs et citoyens, il y a urgence à ce que les textes passent rapidement en CSE et que le ministère les publie et mette en place une politique ambitieuse de formation pour accompagner les personnels dans la mise en œuvre effective des trois séances pour toutes les classes à chaque niveau de la scolarité mais aussi les défendre face aux menaces des adversaires de l’Ecole et de l’émancipation par les savoirs.

Ce même jour se déroule le conseil d’administration de l’UNSS dont vous êtes la Présidente Madame la ministre. Dans vos missions figure celle de développer notamment l’éducation sportive. La communication sur l’héritage des JOP a été portée tous les jours par le gouvernement, aujourd’hui la deuxième fédération française en nombre de licencié.es qu’est l’UNSS est au cœur d’un scandale suite à une mauvaise gestion de son équipe de direction. Depuis des mois le SNEP-FSU a alerté sur les dysfonctionnements, et pourtant, actuellement de nombreuses rencontres sont annulées pour les élèves, il est urgent de prendre toutes les mesures nécessaires à la direction nationale de l’UNSS.

Madame la ministre, ce ministère est devenu celui de l’urgence nationale, alors même qu’il nécessite aussi du temps long pour des transformations structurelles.

Mais des premières réponses dès aujourd’hui, sur la méthode, le calendrier, le Choc des savoirs, puis des engagements rapides sur les salaires notamment peuvent permettre d’enrayer cet effondrement. Vous en avez la responsabilité, pour ne pas être comptable, comme tous vos prédécesseurs depuis 2017 de l’état désastreux de l’Ecole publique.