Monsieur Le Ministre,
Depuis votre prise de fonctions, vous avez développé une stratégie de communication avec des annonces incessantes et ouvert de nombreux chantiers, vous avez surtout annoncé des réformes qui vont aggraver la situation actuelle de l’École et augmenter toujours plus les inégalités entre les jeunes et entre les territoires. Vous faites le choix d’affaiblir le service public d’éducation et dégrader les conditions de travail des personnels, il suffit de voir une de vos premières mesures sur le temps consacré à la formation continue des enseignant·es dans le second degré. Les réformes structurelles annoncées n’ont bénéficié d’aucun bilan rigoureux et vont contribuer à affaiblir toujours plus l’ambition d’une École émancipatrice avec des personnels d’un haut niveau de qualification.
Les personnels de l’éducation nationale ont besoin de reprendre la main sur leur métier, de mesures qui améliorent leurs conditions de travail et leurs salaires sans contrepartie à rebours de nouvelles réformes qui vont dégrader les organisations des services ou des établissements. Toutes vos annonces se font au détriment des personnels et des élèves et ne laissent à personne la possibilité d’envisager sereinement la suite. Depuis plusieurs années, les personnels ont souffert du mépris du ministère. La FSU vous demande de la considération pour tous les personnels qui font l’école.
La FSU alerte depuis longtemps sur le mal être et/ou l’insatisfaction des personnels au travail et les difficiles conditions de travail, même les notes de la DEPP vont dans le sens des organisations syndicales sur le temps de travail ou encore du bien-être au travail des enseignant·es, CPE et psy EN. A plus de 40 heures en moyenne de travail par semaine et une note de satisfaction professionnelle de 5,9/10, les métiers du service public d’éducation n’attirent plus beaucoup.
Le quotidien des personnels est le suivant : aucune semaine ne se passe pas sans que soit médiatisé un fait d’école, de collège ou de lycée relatif à un incident ou encore un droit de retrait lié à des dysfonctionnements importants, pourtant souvent signalés auprès de la hiérarchie. Nos écoles et établissements sont dans un état de grave tension rendant notre quotidien professionnel toujours plus difficile et parfois angoissant. Dans les écoles les professeur·es des écoles sont à un point de rupture, et 102 alertes sociales ont été déposées dans l’ensemble des départements. Que ce soit sur l’inclusion réalisée sans moyen, la question du remplacement ou des droits des personnels (temps partiels, autorisations d’absence…), les autorités départementales renvoient de façon très majoritaire ces problématiques au manque de moyens qui leur est imposé et donc à la responsabilité du Ministère.
La FSU avait alerté dès le début d’année, la promesse présidentielle et la vôtre n’ont pas été tenues : il n’y avait pas un·e professeur·e devant chaque classe. Au mois de décembre, dans de nombreux établissements il manque toujours des professeur·es quelle que soit l’académie : des élèves n’ont pas eu classe depuis des semaines, des mois, voire depuis la rentrée ! Plus personne n’est dupe de la tromperie et des élèves font connaître leur colère en écrivant même à l’administration. Dans le premier degré et le second degré, les remplacements ne sont plus assurés faute de titulaires remplaçant·es Dans certaines académies, et départements, les classes sont surchargées ce qui obère les chances de réussite des élèves et les conditions de travail des enseignant·es. Dans les lycées pro la réforme de l’année de terminale va, elle aussi, avoir des conséquences sur la réussite des élèves et les conditions de travail, la FSU vous redemande solennellement de renoncer au texte concerné et refusé par la quasi-unanimité des organisations syndicales, l’ensemble des organisations de jeunesse et des organisations de parents.
Collègues qui craquent, classes surchargées, élèves sans professeur, établissements sous tension, interrogation sur le sens de nos métiers… c’est le quotidien de l’éducation nationale.
Les premières mesures à prendre sont des mesures salariales et d’amélioration significative des conditions de travail, un plan ambitieux de recrutement de personnels en nombre avec un accompagnement de formation, mesures auxquelles vous avez fermé la porte.
L’incident qui s’est déroulé dans un collège de Rennes confirme que l’Éducation nationale est l’un des plus grands déserts médico-social de ce pays. Pourtant au vu de tous les chiffres révélés ces dernières années sur les violences subies par les enfants et les jeunes au sein des familles, tout montre la nécessité de recruter des personnels assistantes sociales, infirmières, médecins. La crise sanitaire, la misère sociale, la violence dans lesquelles certains jeunes élèves évoluent rendent plus que nécessaires des équipes pluridisciplinaires présentes dans les écoles et les établissements en nombre suffisant. Le champ d’intervention de ces personnels doit être réduit, notamment le nombre d’écoles, d’établissements et d’élèves suivis. Combien de temps allez-vous laisser des personnels épuisés tenir à bout de bras l’École en palliant toutes les carences institutionnelles, résultat de choix politiques dévastateurs ?
Dans les services, les agent·es sont sous pression permanente entre nouvelles applications qui ne fonctionnent pas, manque de personnels, turn-over, manque de formation et pratiques managériales loin du service public. A quelques jours de la 6ème vague de déploiement d’Op@le dans les établissements scolaires – prévue pour janvier 2024 – la tension monte parmi les équipes administratives et de direction.
Il faut absolument un plan ministériel de soutien à ces équipes, plan englobant de nombreuses possibilités de renfort, en moyen de tutorat et de formation ; il faut tout faire pour éviter le risque, majeur, d’une catastrophe professionnelle de grande échelle et préserver complètement les conditions de travail de très nombreuses et nombreux collègues, A commencer par la prise en compte des heures supplémentaires effectuées.
Mais Monsieur le Ministre vous préférez parler de l’uniforme et avancer, au pas de charge, sur des réformes qui ne répondent pas aux problèmes que rencontrent les personnels. Les réformes du collège, des lycées pros, les annonces faites sur le primaire vont accentuer les inégalités, et les tensions déjà existantes entre les personnels. Dans les collèges la préparation de la rentrée 2024 risque de se réaliser dans des conditions inacceptables faute de publication anticipée de textes réglementaires et en raison des incertitudes sur les organisations à mettre en œuvre.
Quant au choc des savoirs érigé en boussole de votre politique éducative, derrière les apparentes mesures de bon sens ou visant à lever des tabous qui n’en sont pas, votre projet d’École apparaît dans toute sa brutalité. Il dessine une École de l’assignation sociale qui va à l’encontre de notre projet d’une École émancipatrice et qui assure la réussite de toutes et tous. Il réactive des mesures qui visent d’abord à réactiver le mythe d’une école ancrée dans une époque révolue. Une vision conservatrice et passéiste qui vise à flatter les instincts individualistes et dans laquelle seul·es certain·es peuvent sortir gagnant·e de la grande compétition scolaire que vous exacerbez. Dans un contexte de grave crise démocratique, vous faites un choix dangereux dans une société traversée par de profondes crises, cette vision de l’École va contribuer à aggraver les fractures et à nourrir le ressentiment social. Pour la FSU, l’école publique est le lieu commun de scolarisation de toute une génération qui apprend à y vivre ensemble pour faire société. C’est pourquoi, il faut y privilégier les mixités sociale et scolaire. Vos mesures vont contribuer à séparer les élèves, les éloigner des uns et des autres. Quant à l’expression « mixité sociale », elle ne fait visiblement pas partie de votre vocabulaire puisque vous n’en parlez jamais.
L’ensemble de ces réformes ne répondront pas à la crise d’attractivité des différents métiers de l’éducation nationale. Alors même qu’il faudrait renforcer le service public d’éducation, parce qu’il doit être un des moyens principaux pour lutter contre les inégalités grandissantes d’une société en crise, parce qu’il doit rester encore le lieu d’un accès à une culture commune, c’est un investissement sans réserve qui devrait être réalisé pour l’avenir de la jeunesse.
En ce qui concerne l’objet de ce CSA sur les moyens, il est important que les IPS soient publiés par le ministère car c’est un indicateur objectif pour la répartition des moyens et la réduction des inégalités.
Si le premier degré a bénéficié d’une priorité sur le premier quinquennat, force est de constater que la situation dans les écoles est dégradée et que rien ne justifie aujourd’hui des suppressions d’emplois. Les résultats des élèves, les conditions de travail des personnels appellent des mesures d’urgence en termes de moyens. La priorité est aussi de garantir aujourd’hui que les 9885 postes au CRPE soient effectivement pourvus à la rentrée 2024.
En six ans, le second degré public a accueilli 21073 élèves supplémentaires mais s’est vu retirer 8381 d’emplois. Pour maintenir le taux d’encadrement de 2017 dans le second degré, il manque 11 543 emplois. Vous instrumentalisez la baisse des effectifs : or, les effectifs élèves du second degré vont rester jusqu’en 2027 à des niveaux supérieurs aux effectifs de la première décennie du XXI° siècle. En parallèle, depuis 2017, le nombre de postes aux CAPES a lui diminué de 23 % entrainant une baisse de 41 % d’inscrits aux CAPES.
Par ailleurs, vous faites le choix de supprimer 200 postes au concours de CAPLP, que signifie cet acharnement contre les lycées professionnels ?
La FSU attend des mesures fortes pour répondre aux difficultés grandissantes dans les services et les établissements scolaires, pour répondre aux besoins de la jeunesse et des personnels. Il est temps d’arrêter de se cacher derrière des choix budgétaires qui ne sont autres que des choix politiques, il suffit de regarder la loi de programmation militaire ou encore l’augmentation de 20 millions accordée au SNU, dispositif de mise au pas de la jeunesse que nous continuons de contester. La jeunesse a besoin de plus et mieux d’école avec des professeur·es en nombre suffisant formé·es et revalorisé·es. Pour toutes ces raisons la FSU appellera avec d’autres organisations syndicales à la grève le 1er février.
Même si une déclaration intersyndicale a été lue en entrée de ce CSA MEN, nous tenions à réaffirmer ici notre indignation. Il y a deux jours, le parlement a voté une loi immigration qui marque un point de bascule terrifiant dans notre histoire : en faisant entrer dans la loi le concept de préférence nationale, historiquement porté par l’extrême droite, le gouvernement et les parlementaires ont voté un texte honteux, qui tourne le dos à l’histoire humaniste de notre pays. Le gouvernement et la majorité ont accepté de brader des principes d’humanité et de solidarité sur l’autel de petits calculs politiciens. Est-ce donc ça les valeurs de la République ? Quelle image cela renvoie-t-il à nos élèves, à leurs familles dont certains vont être directement visés par ces mesures ? L’intolérance, la stigmatisation, l’exclusion ne peuvent que fracturer davantage notre société alors même que notre démocratie est déjà fragilisée par les politiques menées depuis 2017. Pour la FSU, il n’est pas envisageable de voir appliquer une telle loi. Elle appelle à se mobiliser pour en obtenir le retrait.