Monsieur Le Ministre,

Les personnels attendent de vous une parole claire et forte sur leur avenir que vous avez semblé oublier lorsque vous avez énoncé vos trois priorités. L’idéal républicain de l’école publique et laïque que nous partageons est bien de faire grandir et réussir tous les élèves quels qu’ils soient et où qu’ils soient, ensemble, ce que ne fait pas le privé, transmettre des savoirs, pour émanciper par les connaissances, pour libérer des carcans et de l’obscurantisme par l’esprit critique. Mais la concrétisation de cet objectif ne peut reposer seulement sur des personnels toujours moins nombreux, moins reconnus, moins considérés. Tous les signaux sont au rouge pour les personnels : démissions, silencieuses ou fracassantes, perte de confiance dans l’institution que vous représentez, interrogation sur le sens du vote et donc de la démocratie dans des catégories pourtant traditionnellement peu abstentionnistes. Nos métiers sont ceux de l’intérêt général. C’est pour cela que nous les avons choisis. Et c’est parce que l’intérêt général a été gommé de l’action gouvernementale que nos collègues doutent. Il n’est plus l’heure de s’interroger sur les raisons de cette crise. Vous devez y répondre. C’est désormais votre responsabilité.

La question des rémunérations et des carrières, défendue par la FSU est première dans les préoccupations de nos collègues. La copie de départ du projet de loi de finances prévoit, une fois encore, le gel de la valeur du point d’indice et l’absence de mesures catégorielles. C’est inacceptable : y a-t-il enfin un ou une ministre qui va se rendre compte du signal envoyé aux personnels contribuant à une forme de paupérisation et aggravant toujours plus la crise d’attractivité. Vous avez, Monsieur le ministre, évoqué dans un entretien la possibilité d’augmenter les taux de promotions, c’est une nécessité mais cela ne suffira pas, elle doit s’accompagner d’une reconstruction des carrières. Monsieur le ministre, les questions appellent des réponses rapides : que comptez-vous faire pour revaloriser les personnels, pour redonner du sens à leurs métiers, pour améliorer leurs conditions de travail ? Les mesures de carrières du printemps dernier sont-elles abandonnées ? De quelle marge de manœuvre disposez-vous et quels sont les taux de promotion que vous souhaitez faire bouger ?

Puisqu’il est question de la considération qui est due aux agent·es de ce ministère, la FSU dénonce le sort fait aux non titulaires, dont les retards de paiement comme récemment à Créteil et Mayotte ou encore le report, régulier depuis 2 ans, des GT sur le cadre de gestion des non titulaires. Depuis la loi TFP, vous avez choisi de privilégier de recruter des contractuel·les plutôt que des personnels fonctionnaires, ce que nous dénonçons, mais l’institution les traite avec beaucoup de mépris. Les gt doivent maintenant avoir lieu.

En 2025, en matière d’égalité femmes/hommes, il n’est plus possible d’en rester au slogan. Dans notre ministère majoritairement féminin, les politiques menées vont à rebours, notamment, de l’égalité salariale : smicardisation indiciaire généralisée en catégories C et B, mesures de type indemnitaire, développement de missions particulières, instauration du pacte ou encore multiplication des heures supplémentaires. De même les mesures prises en 2018 et 2024 sur l’application d’une journée de carence et la baisse de la rémunération à 90% en cas de congé maladie aggravent les inégalités hommes/femmes. Il y a urgence à revenir sur l’ensemble de ces mesures. Le projet de budget est aveugle à la question du genre et peut fragiliser la protection et l’accompagnement des agentes victimes de VSS dans notre ministère. Les dispositifs VDHA doivent être rendus opérationnels rapidement Et puisqu’il est question ici de VSS, nous redisons notre colère de voir, comme conseiller à l’Education du premier ministre, un ex-recteur qui a montré si ce n’est une forme de complaisance, a minima une forme de légèreté dans le traitement des signalements d’une lanceuse d’alerte.

L’enquête Talis a confirmé les très grandes attentes des personnels en matière de formation continue. Elle est un outil clé pour faire face à la complexité croissante de nos métiers. Vous avez annoncé vouloir changer de braquet sur cette question, mais dans quel sens ? Ces dernières années l’administration a modifié la visée de la formation continue en la destinant à être essentiellement une courroie de transmission des réformes contestées. Et sous couvert de prétendues heures perdues servant à alimenter le prof bashing, ces formations ont été placées à 100% hors temps devant élèves souvent en soirée et de plus en plus de distanciel, excluant les échanges entre pairs. La seule création des EAFC ne changera rien. La FSU réaffirme la nécessité de disposer de temps, d’espaces d’échanges entre pairs, assis sur l’expertise de chercheurs plutôt que sur celle de la hiérarchie.

Sur la question de la formation initiale, vous connaissez notre opposition à cette réforme sur le fond, et nos inquiétudes sur sa mise en place. Nous attendons des réponses rapides sur la modification relative à l’engagement des 4 ans pour les fonctionnaires stagiaires. De même il nous parait incontournable qu’un nouveau groupe de travail soit réuni sur la question des affectations des lauréat·es de concours au risque d’une catastrophe assurée. Depuis le début, la FSU alerte sur les potentiels problèmes de financements, les premiers retours d’universités sont clairs, les modules de 60 heures ne pourront pas être assurés partout, dans le département 56 on envoie les étudiant·es de LPE vers l’université catholique, et de nombreux·ses étudiant·es ne pourront pas avoir accès au master 2 E. Vous allez avec cette mesure, Monsieur le ministre, couper l’éducation nationale de candidat·es et favoriser les préparations privées aux concours. Par ailleurs, placer les fonctionnaires stagiaires à 50 % devant élèves va les mettre en difficulté, cela a déjà été expérimenté, et cette disposition réduit le temps de formation en master 2. La FSU rappelle que l’administration s’était engagée à donner aux candidat·es aux concours le nombre de postes offert aux concours dès le mois de juillet, la situation politique ne l’a, certes, pas permis, mais ils attendent toujours la répartition par concours et par discipline, élément essentiel à leur engagement et à leur choix. Quand allez-vous afficher ces chiffres ?

La FSU a combattu ces dernières années les différentes réformes, que vous avez mises en place comme Dgesco souvent pensées pour figer les destins scolaires et sociaux. La centration sur les fondamentaux, la culture des évaluations et des tests, dont les tests physiques, le Choc des savoirs, le développement des compétences psycho sociales, les groupes de niveau/besoin, le réforme du lycée et du lycée pro transforme le rôle de l’Ecole éloignant les élèves d’une culture commune ambitieuse et partagée. Certaines de ces mesures ont des implications directes sur la rentrée 2026, en termes de moyens ou d’organisation, quand et dans quel cadre allons-nous en discuter ? Vous avez évoqué à plusieurs reprises les 15 % de collèges qui concentrent 40 % des grandes difficultés scolaires : c’est effectivement une urgence scolaire, sociale et démocratique. Mais des outils existent : la carte de l’Education prioritaire doit être revue et élargie aux lycées. Il faut un bilan des politiques menées et une nouvelle carte basée sur des critères nationaux, objectifs et transparents. Et si, encore une fois, le calendrier politique devait contraindre les politiques éducatives, des mesures d’urgences pour la rentrée 2026 doivent être prises pour les écoles et établissements qui ne sont pas classés. Comment allez-vous ouvrir ces différents dossiers ? 20 ans après l’instauration de la loi sur l’égalité des droits et des chances, le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisé en milieu ordinaire a triplé. Et pourtant, l’école inclusive se réalise toujours au rabais. Il y a urgence à créer un corps de fonctionnaire pour reconnaître l’engagement et la pérennité des missions des AESH qui, en majorité des femmes, subissent une précarité et des conditions de travail indignes. Il est indispensable de rendre concrètes et réalisables les ambitions d’une Ecole inclusive, pour les élèves et avec les personnels.

Nos élèves vont mal, c’est une certitude. Plus personne ne peut ignorer la dégradation de leur santé mentale, aux causes multiples, à l’Ecole et en dehors. L’Education nationale ne pourra pas tout faire et elle ne doit pas tout porter. Mais, par les personnels dont c’est le cœur de métier, qui sont centraux dans les équipes pluriprofessionnelles, elle peut agir. Les assises de la santé scolaire font partie des réformes ratées. Elles se sont faites contre les infirmières, assistantes et conseillères techniques de service social et psychologues de l’Éducation nationale, réduisant la politique éducative sociale et de santé à une vision médicalisante qui fragilise autant l’accompagnement des élèves que la lutte contre les inégalités sociales et de santé. Des emplois d’infirmières, d’assistantes sociales devraient être créés dans ce budget mais ne sont pas suffisants. Au-delà des moyens, il faut aussi écouter les personnels concernés sur leurs missions plutôt que de faire, une fois encore, contre elles et eux.

A ce stade, le projet de budget reste inacceptable. Nous ne pouvons pas non plus en rester au décalage de la réforme des retraites, il faut l’abrogation de la réforme Borne et le retour à une retraite à taux plein accessible dès 60 ans. La conférence sociale qui s’ouvre aujourd’hui devra traiter avec sérieux la question de la retraite des fonctionnaires, notamment des femmes, grandes perdantes des réformes de 2003 et 2024. Dans l’Education nationale, nous ne reviendrons pas sur la question des postes, évoquée précédemment, mais si vous voulez parler de démographie, on pourrait s’intéresser à la pyramide des âges des personnels. Chez les enseignant·es, il y a urgence à ouvrir le dossier des fins de carrière. Le budget reste aussi marqué par des orientations dangereuses pour la cohésion sociale : la mise à contribution des ultra riches est très insuffisante. Elle témoigne de l’acceptation gouvernementale de ce qu’il faut bien appeler une forme de séparatisme fiscal et donc social. Les élèves et les personnels de ce ministère sont visiblement moins importants que les grandes entreprises ou les fortunes de certains milliardaires. Fait révélateur, par rapport à sa dépense publique en 1995 (7,8 % du PIB), la France dépense 30 milliards de moins pour l’éducation (en euros constants)

Le projet d’Ecole publique laïque meurt à petit feu de tous ces choix politiques en forme de renoncements, de décisions où l’Education nationale est vue comme un coût plutôt qu’un investissement, où on nous répond invariablement qu’il faut se satisfaire d’avoir évité le pire, par exemple une application stricte de la baisse démographique, où une convention citoyenne trace des pistes problématiques déconnectées de nos réalités.

Reconstruire le service public d’Education, conforter son projet politique pour assumer ses ambitions émancipatrices, dans un monde de plus en plus complexe et conforter les personnels prendra du temps. Nul doute que ni vous, Monsieur le ministre, ni nous, n’en verrons l’aboutissement final. Mais c’est bien parce que cet objectif n’est pas attaché à nos avenirs personnels qu’il doit commencer dès maintenant. Vous en avez la responsabilité sous peine de rejoindre la longue liste des ministres qui ne laisseront dans l’histoire de ce ministère que leur temps de passage rue de Grenelle.