Élise Devieilhe est docteure en sociologie et travaille pour l’association Épicène. Elle est la traductrice du Livre le plus important du monde de Nathalie Simonsson et Yosh, manuel suédois d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, destiné aux pré-ados (éditions Goater)

Quels freins n’ont pas permis la mise en place des séances d’éducation à la sexualité ?

Élise Devieilhe : L’éducation à la sexualité entrée dans les écoles françaises en 1973 est intervenue au départ comme « pompière » dans des situations de crise et non comme une nécessité éducative. Une approche plus globale réclamée par les professionnel·les de terrain a permis de redéfinir son concept dans ses différentes dimensions : biologique, relationnelle et sociale. La loi de 2001 institue ainsi l’éducation à la sexualité comme « composante essentielle de la construction de la personne et de l’éducation [citoyenne] » avec un rôle de l’école présenté comme complémentaire de celui de la famille et trois séances annuelles obligatoires pour y aborder les différentes dimensions. Mais moins de 20 % des élèves en bénéficient pour de multiples raisons. Aucun bilan réclamé par l’institution, absence d’un programme scolaire détaillé par classe jusqu’en 2025 et de manuels scolaires, manque de moyens humains avec des équipes éducatives non formées, manque de moyens logistiques avec des emplois du temps surchargés, manque de moyens financiers pour faire appel à des associations externes…

C’est donc de la responsabilité du ministère… Oui et à tout cela s’ajoute un manque de courage et de volonté politique. Nationalement et localement, on craint les polémiques et les plaintes des parents d’élèves. Les initiatives locales sont souvent critiquées, on veut défendre l’égalité, mais pas trop, la liberté, mais pas trop, l’esprit critique, mais pas trop… Chaque polémique décourage les équipes éducatives de se lancer dans l’éducation à la sexualité, faute de soutien de leur hiérarchie, et au final, du ministère de l’Éducation nationale.

Une pédagogie de la tolérance suffit-elle ? La tolérance n’est pas une relation de respect réciproque, c’est un rapport de pouvoir entre une personne qui tolère et une personne qui est tolérée. Or, la personne qui tolère est généralement issue d’une catégorie de population socialement dominante, qui s’octroie le droit de « tolérer », d’accepter à la marge un individu ou un comportement dont on préfèrerait qu’ils n’existent pas. Or, par exemple les personnes LGBTQIA+ ne veulent pas être « tolérées », elles ne souhaitent pas être « adoubées » par la norme, ni qu’on leur dise « tu ne me déranges pas, je vais te laisser la vie sauve ! » Elles réclament leur juste droit au respect mutuel.

Que mettre en place alors ? Deux méthodes pédagogiques suédoises permettent de viser l’égalité, l’émancipation et la liberté. La pédagogie inclusive entend représenter tous les individus avec un égal respect dans la rédaction des textes d’éducation à la sexualité, l’élaboration des exemples et la conception des illustrations pour présenter les sexes, les identités, les sexualités, les modes de vie, à égalité. La pédagogie critique des normes questionne les rapports de pouvoir existant entre les personnes et entre les groupes sociaux. Contrairement à la tolérance, il ne s’agit pas de réclamer le droit d’inclusion des marges à la norme mais de mettre au centre du questionnement la norme elle-même, comment elle est produite et reproduite, les avantages qu’elle procure comme les inégalités qu’elle crée.

Comment aborder toutes les dimensions de cette éducation ? La pratique principale qui permettrait d’aborder la sexualité dans ses multiples dimensions, et pas seulement par la biologie, serait l’application à l’école des trois séances par an et par élève, du CP à la terminale. Si on avait plus de temps, on pourrait parer au plus urgent en parlant des risques et du factuel (anatomie, physiologie, chiffres des violences sexuelles et conjugales, etc.), mais on pourrait aussi déployer un vrai travail éducatif sur les valeurs, l’esprit critique, parler des relations, des sentiments, de l’égalité, de l’émancipation de certaines normes oppressives, d’identité, de genre, etc. La deuxième piste est bien sûr que l’école ne soit pas la seule actrice de cette éducation. Un effort collectif doit être fourni par l’ensemble des familles et de la société. Les corps intermédiaires, dont les médias – y compris les réseaux sociaux – et la culture, ont aussi par exemple un rôle très important à jouer dans les représentations qui circulent sur les corps, les identités, les sexualités, le consentement… En résumé, nous avons du pain sur la planche !

Article publié dans le numéro 267 de Pour de novembre 2025
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