En septembre 2021, la FSU écrivait au premier ministre Jean Castex et à la ministre du travail Élisabeth Borne pour les alerter sur leur décision de prolonger les aides exceptionnelles accordées aux employeur·euses d’apprenti·es et pour dénoncer à la fois l’effet d’aubaine pour les entreprises et les conséquences de cette décision sur l’augmentation du déficit de France compétences. Les critiques émises par la FSU sont aujourd’hui confortées par le rapport de la Cour des Comptes publié le 23 juin 2022.
Dans ce rapport, la Cour des Comptes questionne « la stratégie nationale de l’alternance » et l’efficacité des politiques menées par le gouvernement précédent. Le rapport constate une baisse du nombre d’apprenti·es dans les formations du secondaire et une montée en puissance dans l’enseignement supérieur alors que la plus-value, en terme d’insertion pour ce dernier, serait limitée. Alors que le gouvernement s’obstine à vouloir développer l’apprentissage chez les jeunes « scolaires », notamment défavorisés, le rapport prend acte d’un seuil limite, atteint par nos pays voisins ne pratiquant que l’apprentissage pour obtenir certaines qualifications (Allemagne, Danemark …). Alors que près de 20 milliards d’euros d’argent public auront pourtant été dépensés en moins de 3 ans, la FSU, quant à elle, ne constate aucune plus-value de qualité de formation, ni d’insertion dans l’emploi pour la jeunesse. Pire, elle note que l’argent public ne cible pas en priorité les publics les plus éloignés de la formation et de l’emploi. Cette politique participe davantage au décrochage des jeunes les plus fragiles car rien n’est réellement fait pour qu’ils puissent retourner vers la voie scolaire en cas d’échec, celui-ci restant très important : 41,2 % des apprenti·es ayant préparé un baccalauréat professionnel entre 2017 et 2019 ont abandonné leur formation.
Il est légitime de se demander quel aveuglement idéologique ou cynique mène le Gouvernement à vouloir continuer à développer l’apprentissage, onéreux, défavorable à l’émancipation des élèves et in fine peu efficient. S’agit-il d’une ségrégation assumée pour tenter de répondre à la pénurie de main d’œuvre de certains secteurs ou simplement le maintien d’une politique permettant aux entreprises d’abaisser leur « coût » du travail ? Par ailleurs, les employeurs sont de moins en moins attirés par les contrats d’apprentissage du secondaire, cherchant davantage des jeunes déjà en capacité de leur apporter une plus-value immédiate.
La FSU a toujours dénoncé les politiques de libéralisation de l’offre d’apprentissage. Celles-ci fragilisent la formation professionnelle initiale sous statut scolaire et font disparaître des formations jugées trop coûteuses ou trop peu attractives.
A contrario, la Cour des comptes n’a pas peur d’expliquer que ce n’est pas les désirs des jeunes qui doit piloter l’offre des formations mais l’inverse. Elle demande, par exemple, pour ce faire “d’instaurer des horaires spécifiques dans les grilles horaires des élèves et d’en assurer le décompte dans les obligations de service des professeurs principaux” pour leur vendre l’offre d’apprentissage. En tout état de cause, ce rapport confirme l’urgence de remettre en place de la concertation entre les différent·es acteur·rices afin de garantir une offre de formation qui réponde à la fois aux attentes des usager·ères mais aussi aux besoins et aux enjeux futurs de notre pays. Dans ce cadre, la FSU tient à rappeler que les services publics de l’éducation et de la formation ont un rôle primordial à jouer.
De même, la Cour des comptes présente comme un frein l’absence de comptabilisation des apprenti·es dans les effectifs scolaires, comme l’absence de fongibilité entre les places dévolues à l’apprentissage et ceux de la voie scolaire. Paradoxalement, elle encourage le développement des classes mixtes (apprentie·s et scolaires), alors qu’elle pointe le financement incertain de ces classes et note que ce dispositif n’est pas propice à la réussite des études et qu’il alourdit le métier des enseignant·es au-delà du supportable.
La FSU rappelle qu’elle n’est pas favorable au mixage de parcours et des publics, qu’elle reste opposée à tout transfert de budget de l’Éducation nationale vers France compétences et à toutes propositions de modulation des coûts contrat concernant l’apprentissage public car elles détérioreraient la qualité des formations dispensées.
A de nombreuses reprises, la Cour des comptes énumère ce que dénoncent les syndicats de la FSU depuis longtemps, dans les différentes instances ministérielles. Elle pointe notamment les financements et les résultats insuffisants des dispositifs coûteux mis en place sur l’air de “cela ira mieux demain” comme par exemple le prépa-apprentissage avec un taux de passage de moins d’un tiers du public concerné dans une formation par apprentissage. Elle constate aussi que la qualification “Qualiopi” est défaillante et elle souligne le retard pris dans le contrôle de la qualité des «formations» en apprentissage. Pour la FSU, le ministère de l’Education nationale a un rôle fondamental à jouer sur le sujet notamment afin de contrôler les milliers de CFA créés ces trois dernières années. Pour cela, elle demande une augmentation des moyens alloués.
Pour la FSU, la loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » et les divers plans de financement de la formation professionnelle supposés permettre une meilleure adéquation entre formation et emploi et répondre aux besoins de main d’œuvre sont inefficaces puisque la pénurie n’a jamais été aussi importante.
Loin d’être la panacée pédagogique ou le modèle unique à développer, l’apprentissage, comme tout modèle de formation, a ses limites. Il doit être réinterrogé à l’aune des objectifs qu’on lui assigne et de son coût pour la société. Pour la FSU, il ne peut en aucun cas se substituer aux lycées professionnels et modéliser le service public de l’Éducation nationale. Elle rappelle que celui-ci accueille tous les jeunes sans distinction, discrimination ou sélection, au contraire de l’apprentissage.
Alors que le Gouvernement s’apprête de nouveau à prolonger pour 6 mois ses aides, la FSU demande donc l’arrêt immédiat des aides exceptionnelles versées aux employeur·euses d’apprenti·es.
Elle demande à celui-ci de revoir l’orientation et le financement des politiques pour l’ensemble de la jeunesse et d’ouvrir rapidement des discussions, pour mettre en œuvre une réelle politique de qualification de toute la jeunesse par le renforcement du service public de l’Éducation et de la formation professionnelle. Elle demande que l’âge de la scolarité obligatoire soit porté à 18 ans afin de donner à la jeunesse de notre pays toutes les armes nécessaires pour affronter notre monde en mutation constante.
Les Lilas le 28 juin 2022
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