Quel bilan tirez-vous aujourd’hui de la décentralisation?
Un bilan mitigé. La décentralisation donne aux collectivités territoriales, aux communes, intercommunalités, départements et régions davantage de compétences, c’est un acte majeur de l’organisation de la République, mais elle favorise aussi les inégalités entre territoires et donc entre individus. Nous avons eu, pendant le mandat de François Hollande, beaucoup de mal à convaincre les collectivités d’accepter cette réalité, sauf naturellement les plus pauvres des communes ou des départements. La création des intercommunalités a été une réponse, permettant le financement de l’accueil postscolaire et donc l’aide aux devoirs ou l’ouverture à la culture. Ces structures ne sont cependant pas assez démocratiques, elles reposent trop sur le vote en faveur de personnalités communales et pas assez sur un projet intercommunal qui dégage des priorités par exemple pour l’aide aux personnes âgées ou les mobilités. La compétence majeure du département est le soutien aux personnes en situation de fragilité, sociale, familiale, sanitaire, les personnes en situation de handicaps, les mineurs isolés ou en danger, avec comme outils l’allocation adulte handicapé (AAH) et le RSA déterminés nationalement. Or leur accompagnement dépend de la richesse locale: quoi de commun entre le 93 et l’Essonne dont l’ancien président du conseil me disait « Moi je double le montant de l’AAH quand je veux! » Les régions ont la compétence économique, elles s’en débrouillent bien, avec celle des lycées, sous l’angle de la construction mais aussi du postscolaire, où l’on retrouve les mêmes inégalités de moyens donc de résultats si les choix sont communs. S’agissant des mobilités, les métropoles ou les grosses intercommunalités admettent mal la prééminence des régions d’où le développement d’offres concurrentes de transports comme des compagnies de bus privées en Ile de France, ce qui est peu compatible avec les priorités environnementales. Le problème majeur est celui des ressources, avec une dotation globale de financement très inéquitable selon les collectivités, les égoïsmes locaux ont fait obstacle à sa réforme dans le précédent quinquennat. Résultat: un enfant ne dispose pas des mêmes choix selon le territoire où il est né, ce qui est une blessure infligée au pacte social qui fonde la République. On n’a eu de cesse, par démagogie anti-fiscale, de diminuer les ressources des collectivités locales, la suppression de la taxe d’habitation a été une grosse erreur, dont on a vu les effets négatifs quand les collectivités ont dû faire face à la crise. La décentralisation est une excellente chose mais la qualité du service ne doit pas être indexée sur le périmètre de l’assiette fiscale du territoire où il s’exerce, c’est une question de simple justice. Ainsi les régions sont responsables de la formation professionnelle, un enjeu crucial pour aider les élèves et les familles à affronter les évolutions économiques. Or de fait un élève de BTS n’a souvent pas le loisir de choisir, ses rêves doivent se plier aux limites géographiques de son lieu de vie parce que le logement et les transports sont trop lourds pour sa famille.
Quelles évolutions seraient nécessaires, à la lumière de la crise épidémique mais aussi économique et sociale que nous traversons, dans les compétences et la gouvernance des collectivités territoriales?
Pourquoi pas la création d’une « compétence crise »? Les collectivités deviendraient ainsi responsables de l’action logistique de proximité, par exemple les campagnes de vaccination des personnes les plus fragiles. Les régions pourraient également en pareil cas recevoir des pouvoirs exceptionnels pour développer les mobilités. Les schémas régionaux de politique de santé devraient être débattus entre les Agences régionales de santé et les élus de l’ensemble du territoire: le Finistère est bien loin de Rennes… Autre réforme souhaitable: les présidents d’intercommunalités ou de métropoles pourraient systématiquement être élus au sein des conseils départementaux, pour articuler solidarité sociale et solidarité entre territoires.
Quels sont selon vous les principaux enjeux des prochaines élections locales?
Elles devraient être un moment de réconciliation des citoyens avec la politique. Le monde politique est aujourd’hui rejeté car les projets qu’il porte ne sont pas lus, d’où un sentiment de trahison. Ce sera le moment de parler de politique plus simplement, sur ces questions concrètes comme l’accès à la culture, l’accompagnement des chômeurs en recherche d’emploi ou l’aide aux personnes âgées. Je peux raconter une histoire sociale à travers un projet local. Les luttes pour le pouvoir sont justes et nécessaires, s’il s’agit du pouvoir de porter un projet collectif et non une politique inventée au fil de l’eau…
Interview issue de la revue POUR n°232, mai 2021; à lire ici!