Qu’apporte le musée au débat public sur l’immigration ?

C’est un lieu où l’on peut s’informer et réfléchir calmement. Il n’y a pas tant de lieux que cela en France sur les questions de l’immigration. Pour le grand public, avoir à disposition un musée national qui convoque les meilleurs spécialistes pour parler des questions de l’immigration, c’est l’assurer qu’il aura des données fiables, une information refroidie. Cette information peut être engagée, cela fait partie de nos missions de porter un regard positif et bienveillant sur les questions migratoires, comme un fait humain incontournable, très ancien, qui permet de regarder l’actualité avec un peu plus de distance et de s’écarter des discours catastrophistes, hostiles.

Comment a été pensé le nouveau parcours ?

Le chantier a été lancé avant mon arrivée. Ma principale contribution a été d’élargir le parcours en affirmant de façon forte la place des migrations extra-européennes, et une vision très globale des migrations en France qui inclut les questions coloniales. La première salle est en partie consacrée à l’esclavage et à la traite. En revenant à 1685, on n’est plus dans l’idée des migrants nos voisins, qui arrivent au moment de la révolution industrielle pour travailler en France, on parle d’autres histoires. Par exemple des esclaves et des protestants qui quittent le royaume au même moment.

Le parcours mène jusqu’à aujourd’hui ? Quels sont les meilleurs outils
pour présenter l’immigration ?

Il va jusqu’en 2015, jusqu’à ce qu’on appelle la crise des réfugiés qui a été un moment crucial. En préservant à la fin une fluidité pour pouvoir ajouter de l’actualité. Aujourd’hui les parcours permanents ne sont plus figés, on peut y mettre de nouveaux documents, les adapter à ce qui survient.

Quels sont les meilleurs outils pour présenter l’immigration ? Cela permet de sortir
de l’Hexagone…

On fait feu de tout bois. Des archives bien sûr, dans la première salle par exemple on montre un Code noir original. Les objets sont très importants. Une exposition n’est pas seulement une question intellectuelle, d’apprentissage, c’est aussi une émotion. Et l’émotion naît quand vous avez les chaînes d’esclaves sous les yeux, pas simplement une carte montrant le trafic négrier à travers l’Atlantique. Les dons des visiteurs sont importants aussi, comme nos propres acquisitions, et les œuvres d’art. Il y a à peu près toute la palette muséographique.

Cela permet de sortir de l’Hexagone… 

Exactement. C’est ce que fait aujourd’hui la recherche universitaire. On ne peut plus regarder les questions sans les considérer dans une perspective impériale, dans l’histoire globale de la France, pour reprendre un titre de Patrick Boucheron, qui a piloté le comité scientifique.

14 ans après son ouverture au public, le musée a donc de nouvelles propositions… 

Le parcours permanent, et des expositions qui n’auraient pas pu avoir lieu il y a quelques années, comme Picasso l’étranger. L’exposition exigeait des normes en température et en hygrométrie qu’un bâtiment ancien comme le Palais n’avait pas jusqu’à présent. Le musée se met techniquement à niveau. Nous travaillons également sur les activités artistiques, avec des performances chorégraphiques et musicales. Nous sommes capables de mettre 700 personnes dans le forum, 200 dans l’auditorium. Nous pouvons proposer des spectacles de très grande qualité. Nous sommes ambitieux. Un peu en marge, à la limite de Paris, c’est un peu plus difficile que si nous étions dans le premier arrondissement.

L’aspect colonial est en effet très peu traité…

Il était marginal jusqu’à présent. Nous allons lui donner toute son ampleur dans la programmation. On propose ici des débats qui ont trait directement à l’histoire coloniale en raison de l’histoire même du monument. On se saisit de cette dimension, qui a crû depuis quinze ans. Puisqu’il n’y a pas de musée de la colonisation, nous assumons notre part du travail.

Interview issue de la revue POUR n°239, mars 2022; à lire ici!