« Les retraites coûtent trop cher, il ne faut pas y consacrer plus de 14 % du PIB »
FAUX !
L’idée qu’il ne faut pas dépenser trop pour les retraites n’est pas nouvelle. Derrière des arguments qui mettent en avant un prétendu péril économique se cache la volonté de maintenir coûte que coûte les profits des entreprises. L’objectif est clair : faire travailler plus pour conserver intacte la part des profits.
Avec la réforme envisagée en 2019, il s’agissait déjà de donner la priorité à l’équilibre financier du système. Il ne s’agissait pas d’ajuster les recettes aux besoins de financement mais de limiter strictement la somme des pensions versées à un maximum arbitrairement choisi : le nouveau système devait permettre de maintenir la part des retraites à un maximum de 14 % du PIB. Aller au-delà ne serait pas tenable, le niveau de vie des actif·ves serait amputé, la compétitivité se dégraderait, ce qui provoquerait davantage de chômage…
En 2023, l’objectif principal du gouvernement Borne était bien « d’augmenter la quantité de travail » sans le rémunérer davantage, dans une perspective d’augmentation du PIB. Dans l’esprit des néo libéraux, cela permettrait de conserver, voire d’augmenter encore la part des profits, sans avoir à augmenter ce qu’ils appellent les « prélèvements obligatoires ». Même chose dans la réponse de Gabriel Attal au discours de politique générale de François Bayrou en janvier 2025, où il revendiquait plus de travail pour les Français.
La limite de 14 % correspond au niveau atteint de 2013 à 2016. Des années 1960 à 2015, la part des 65 ans et plus est passée de 11 % à 18,6 % de la population, et parallèlement la part des pensions dans le PIB s’est accrue au même rythme en passant de 5% à 14 %, sans pour autant dégrader le niveau de vie des actif·ves ! En 2023, les retraites représentaient 13,4 % du PIB. Mais le nombre de retraité·es va s’accroître dans les années à venir et il faudrait que cette part passe à 16,2 % en 2050 pour maintenir les niveaux de retraites actuels.
Quels sont les objectifs implicites de cette contrainte financière ? Les pensions de retraite sont des revenus socialisés s’inscrivant dans la continuité du salaire et sont financées par les cotisations qui sont une partie intégrante et socialisée du salaire. Mais ce sont aussi, au sens comptable, des dépenses publiques. À ce titre, elles sont la cible récurrente de la Commission et du Conseil de l’Union européenne, qui, au-delà du contrôle des déficits et de la dette, enjoignent aux États membres de réduire leurs dépenses publiques tout autant que leurs prélèvements fiscaux et sociaux.
Ce blocage à 14 % du PIB est une réponse complaisante et assumée au dogme libéral européen et constitue un changement radical de modèle. Il organise le passage d’un système à prestations définies à un système à cotisations définies. Le fait de définir à l’avance le niveau des cotisations et autres prélèvements accélère mécaniquement la baisse des pensions. Il n’est pas acceptable de limiter a priori les ressources destinées au financement des retraites car cela reviendrait à appauvrir les retraité-es par rapport aux actif·ves et à pousser celles et ceux qui le peuvent à recourir à l’épargne et aux dispositifs de retraite par capitalisation. Pour revenir à un niveau de pension qui éviterait l’appauvrissement déjà programmé des retraité-es, il faut aller vers un niveau de financement qui atteindrait 19 % du PIB en 2030.
Contrairement aux idées fausses largement diffusées, il ne s’agit pas d’une ponction sur la richesse créée par les actif·ves : les pensions versées ne disparaissent pas dans les sables, elles sont dépensées par les retraité·es et constituent donc une partie des revenus des actif·ves (commerçant·es, personnels de santé, etc.).Il faut aussi, pour élargir le financement de la protection sociale, réduire les profits et dividendes au bénéfice des salaires pour élargir la base de collecte des cotisations, lutter contre le chômage pour augmenter le nombre de cotisant·es, abandonner les exonérations et diminutions de cotisations dites patronales qui n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité en matière d’emploi, et taxer les revenus financiers en luttant efficacement contre la fraude et l’évasion fiscale.