Quel lien faites-vous entre la Fonction publique et ce qu’on appelle couramment le « modèle social français » ?
Les références du « modèle social français » me semblent être constituées à la fois par le programme du Conseil National de la Résistance (dont la majeure partie des propositions sont détaillées sur le plan social), et par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (qui renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), alors que la dernière loi adoptée par l’Assemblée nationale constituante d’alors a été le statut général des fonctionnaires de la loi du 19 octobre 1946. Cette proximité explique la communauté d’inspiration de l’époque
De fait les principes d’égalité, d’indépendance et de responsabilité du statut sont aussi ceux de ces textes fondateurs. Mais le statut général des fonctionnaires s’inscrit également dans une histoire propre qui a vu les fonctionnaires, leurs associations et leurs syndicats passer de la revendication d’un « contrat collectif » à celle d’un statut législatif
Quelle est la place des usagers par rapport aux agents de la Fonction publique ?
La juxtaposition des catégories « usagers » et « fonctionnaires » est source de confusion. Beaucoup d’usagers sont fonctionnaires et tous les fonctionnaires et leurs familles sont des usagers. En fait cette distinction recouvre le plus souvent une volonté de mise en accusation des fonctionnaires devant les insuffisances, les défauts des services publics dont sont responsables les initiateurs de politiques publiques défectueuses qui trouvent ainsi le moyen de détourner la population de leurs turpitudes. Cela dit, la notion d’usager a un sens lorsqu’il s’agit de représentants de parents d’élèves ou d’utilisateurs de moyens de transports clairement identifiés, une ligne de bus, par exemple. Elle est plus discutable au niveau national car elle entre alors en conflit avec les légitimités des élus et des fonctionnaires définies par la loi. Elle a un intérêt dans la vie associative et peut nourrir la réflexion sur ce que certains appellent la « démocratie participative »
Le syndicalisme a-t-il un rôle spécifique à jouer dans la Fonction publique par rapport au secteur privé ?
Le droit syndical et le droit de grève ont été reconnus tardivement aux fonctionnaires, bien après le secteur privé. Ils n’en sont pas moins importants. Le droit de grève a été intégré au statut général en 1983 (art. 10 du titre I er) de même que le droit syndical (art. 8) et la participation à la gestion (art. 9). La spécificité résulte du fait que le fonctionnaire est dans une situation statutaire et réglementaire, définie par un acte unilatéral de la puissance publique, la loi, et non par un contrat. Il s’ensuit que la concertation dans la fonction publique peut déboucher sur des accords ou des relevés de conclusions mais que ceux-ci n’ont pas, par eux-mêmes, de valeur normative, même s’ils engagent la parole des partenaires et notamment celle de l’État et autres collectivités publiques. Pour autant, la concertation n’en est pas moins importante
Dans votre livre, vous parlez du XXIe siècle comme d’un futur âge d’or de la Fonction publique. Pouvez-vous préciser votre pensée ?
L’idéologie dominante voudrait nous faire admettre que le libéralisme est la fin de l’histoire, que l’entreprise privée est le paradigme de toute organisation sociale et le management l’expression d’excellence de la citoyenneté
La crise de civilisation dans laquelle nous nous trouvons a le sens d’une « métamorphose » déjà engagée par le développement des interdépendances, des coopérations, des solidarités. Des valeurs et des principes universels tendent à s’affirmer, des moyens matériels et immatériels se mettent en place aux niveaux mondial et continental, l’affirmation du genre humain comme sujet de droit sera la grande affaire du XXIe siècle. Toutes ces notions qui prennent corps, souvent dans les souffrances et les violences, se condensent en France dans le concept de service public dont la Fonction publique est l’essentiel et une pièce maîtresse du pacte républicain