Conseiller d’État honoraire, ancien ministre de la Fonction publique, Anicet Le Pors analyse les dernières déclarations du président de la République sur l’État-providence. Et dit combien il croit dans le service public pour notre siècle.
Le président Macron dans ses récents discours place l’État-providence et les services publics comme le meilleur rempart contre les effets de la crise sanitaire : s’agit-il d’un tournant ?
Anicet Le Pors : Je ne crois pas du tout, ici, à la sincérité du président de la République, ni qu’il s’agisse dans son esprit d’un tournant. Il prend simplement en compte l’état actuel de l’opinion publique favorable à celles et ceux qui – dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la recherche et bien d’autres encore – incarnent des services publics qui répondent aux besoins vitaux de la Nation. Rappelons-nous Nicolas Sarkozy : il prétendait en 2007 réduire le champ du statut général des fonctionnaires par des contrats de droit privé négociés de gré à gré, avant d’être contraint de reculer par la crise financière de 2008 et d’abonder dans le sens de
l’opinion publique qui voyait bien en quoi la France bénéficiait avec un service public étendu, d’un véritable « amortisseur social » de la crise. Aujourd’hui bis repetita. Au delà de la posture, Emmanuel Macron se garde bien de revenir sur les atteintes qu’il a portées aux services publics et aux statuts de ses agents depuis le début de son quinquennat.
Le Président vous parait-il sincère, au regard de son action des précédentes années, comme conseiller du Président Hollande, ministre puis chef de l’État ?
A. L. P. : Emmanuel Macron accomplit ce pourquoi il a été promu par les dominants de la société : l’alignement du public sur le privé via la modification du code du travail faisant du contrat individuel de droit privé la référence sociale majeure. C’est une stratégie claire, amorcée sous le précédent quinquennat, avant même l’arrivée d’Emmanuel Macron au gouvernement, mais qui lui a permis, élu président, de supprimer d’abord le statut réglementaire des cheminots avant de s’en prendre au statut législatif des fonctionnaires par la loi du 6 août 2019. Le discours managérial en cours brouille les finalités du secteur public, porteur de l’intérêt général et du secteur privé, obéissant à l’impératif du profit. Les dénaturations statutaires accroissent le risque de conflits d’intérêt et, par-là, menacent l’indépendance de l’administration. On assiste ainsi à une sorte de captation de l’action publique par les intérêts financiers privés. C’est aussi une remise en cause de la conception française du fonctionnaire-citoyen, opposée à celle du fonctionnaire-sujet, et à sa pleine responsabilité dans l’exercice des fonctions qui lui sont confiées, ce qui suppose des garanties d’emploi, de rémunération, de protection sociale, de retraite, d’intégrité.
Pourquoi le XXIe siècle sera l’« âge d’or » du service public ?
A. L. P. : Gérard Aschieri, ancien secrétaire général de la FSU et moi n’avons pas choisi ce terme pour enjoliver, mais parce qu’il correspond à notre conviction. La Fonction publique, est d’abord une réalité collective, un ensemble organisé de fonctions collectives représentant un cinquième de la population active. C’est pourquoi le gouvernement doit respecter le droit de négociation reconnu aux organisations syndicales par le statut. Il
faut préférer la loi au contrat, la fonction au métier, l’efficacité sociale au contrôle de la performance individuelle. Ensuite, la fonction publique est une réalité structurelle. Cela implique, que soit mise en œuvre une gestion
prévisionnelle des effectifs et des compétences sur la base d’un classement juste des qualifications. Ainsi, le déclassement officiellement reconnu des personnels enseignants, soignants, de la recherche doit, à mon avis, être réparé, non par des primes discriminatoires à la Blanquer, mais par des revalorisations indiciaires substantielles et pérennes. Enfin, la Fonction publique est une réalité qui doit être réfléchie sur le long terme et non dans le corset du principe de l’annualité budgétaire : il faut sortir la Fonction publique de Bercy ! D’aucuns voudraient nous faire croire que ce serait la fin de l’Histoire, que le libéralisme l’aurait définitivement emporté. La réponse est dans la crise. Notre siècle est au contraire engagé, sous nos yeux quand bien même c’est douloureusement, dans la voie des interdépendances, des coopérations, des solidarités portées au niveau mondial, ce qui porte un nom en France : le service public.
Interview issue de la revue POUR n°223, Avril 2020; à lire ici!