Vous êtes architecte, vous avez travaillé parmi les collections d’art moderne et contemporain du Centre Pompidou. Pourquoi postuler pour un musée d’histoire ?
Effectivement, je ne suis pas initialement conservateur du patrimoine mais architecte et historien de l’architecture. La question de la transformation des territoires par
la modernité, puis par la mondialisation, est vraiment l’objet de mon travail.
Je me suis rendu compte, dans la mondialisation, que la colonisation d’autre part, les études postcoloniales d’autre part, étaient des territoires de recherche fondamentaux
pour les musées. C’est ce qui a constitué mon positionnement au sein du musée de l’histoire de l’immigration.
Au Centre Pompidou, comment aborder la question de la présence de la colonisation ou de la décolonisation en Algérie ?
Frontalement, on ne le peut pas. Par contre, en passant par des figures comme celles des architectes, en travaillant sur les transformations de la ville, là la question
devient beaucoup moins polémique que si vous l’abordez frontalement sur la guerre d’Algérie.
Le musée renouvelle ses équipes, fait entrer l’art moderne et contemporain. Vous-même introduisez votre parcours dans l’architecture. Une redéï€nition ?
Le sujet est en train de se faire, c’est ce qui m’a attiré ici. C’est assez extraordinaire de créer l’identité d’une institution. Nous sommes un musée qui collecte les traces et qui essaie de parler d’une culture qui est en train d’advenir. On ne sait pas ce qu’elle sera mais sur toutes ces mutations, ces migrations, sur la base d’une histoire de
l’immigration mais surtout sur la transformation du monde.
Mais le musée de l’immigrationa encore besoin de remémorer l’histoire du XXe siècle pour parler du XXIe…
Le début de l’histoire, on ne veut pas l’entendre, et la fin de l’histoire, on ne la connaît pas. En même temps, on voit bien que toute une famille d’intellectuels d’une nouvelle génération ne parle que de ça. Quand vous regardez l’actualité littéraire,
avec L’histoire mondiale de la France dirigée par Patrick Boucheron, la moitié du livre parle des migrations. De ce point de vue, nous sommes l’inverse du Quai Branly qui se présente dans son identité comme étant la culture de l’autre. Le musée national de l’histoire de l’immigration présente notre culture transformée par la présence de l’autre.
C’est un sujet qui suscite beaucoup de crispations sur le plan politique…
C’est la raison pour laquelle il faut prendre beaucoup de distance par rapport au sujet. La question que je me pose c’est: quel serait l’axe neutre de l’immigration? Un musée c’est une boîte à outils et aujourd’hui elle est fortement prise dans les tabous.
Si le Palais de la Porte dorée est peu visible dans le paysage des musées, c’est que son identité n’est pas détachée de toutes les connotations liées à la période coloniale. Or il y a un vrai appel des gens de ma génération pour pouvoir sortir de la culpabilité et de la victimisation de l’autre côté.
Ce que l’on ne dit pas mais ce que l’on voit, ce que l’on pointe, c’est d’aborder la question du point de vue de la mondialisation. C’est-à dire tenter de devenir un dénominateur commun plus conceptuel, plus abstrait, qui permet de dire : nous sommes l’observatoire des transformations du monde à venir.
Et nous sommes précisément un lieu de création et d’hospitalité parce que notre rôle et notre devoir c’est d’essayer de donner une lisibilité de l’histoire relativement récente, des 150 dernières années, mais aussi et tout autant de donner la parole aux
acteurs qui expriment, problématisent, s’interrogent sur les transformations actuelles du monde. Pour moi, c’est pour cela que nous sommes un musée dédié et très ouvert à la création contemporaine.
L’architecture, le design, les arts appliqués, le paysage, sont des créations qui interrogent sans pour autant porter le poids d’une responsabilité.
L’enjeu c’est d’ouvrir les portes. C’est aussi d’identifier, de laisser la parole, de poser la création pour interroger les transformations massivement liées aux circulations
et aux immigrations.