Après la tentative de coupes drastiques dans les crédits de recherche, et la tribune signée par huit « Nobels » publiée dans le journal « Le Monde » le 23 mai dernier, nous avons demandé à l’un des coordonnateurs de l’association « Sciences en Marche » de nous livrer son point de vue.
Huit « Nobels » ont signé une tribune contre les coupes budgétaires dans la recherche dénonçant un « suicide ». Ce n’est pas exagéré ?
Non. D’un point de vue scientifique, si ces coupes avaient été maintenues, cela aurait voulu dire, pour un organisme comme le CNRS, qu’environ 20 % de budget de fonctionnement pour les 6 mois restant de l’année auraient été coupés. Ce qui est énorme. En pratique c’est un cinquième des projets en cours qui souffrent. Si les budgets étaient aussi confortables que ce qu’ils sont en Allemagne actuellement, une coupe de 134 M€ dans la recherche passerait relativement inaperçue. Mais là on est dans un système qui est au bord de la rupture.
Pourquoi parlent-ils de suicide industriel ?
Dans les centres de recherche des entreprises françaises on trouve essentiellement des ingénieurs qui sont formés pour appliquer des théories existantes. Pas des chercheurs. Aujourd’hui, le seul moyen de maintenir des entreprises proches de la recherche c’est d’avoir une recherche publique de qualité. C’est crucial pour leur compétitivité car beaucoup de chercheurs travaillent à long terme pour donner des outils et des techniques qui vont devenir des atouts industriels dans 20 ans. C’est donc aussi un suicide industriel.
Il y a un problème d’attractivité des filières scientifiques ?
Il y a de moins en moins de doctorants. Parce que les laboratoires manquent de moyens et parce que le doctorat, à la différence des autres pays, ne bénéï€cie d’aucune reconnaissance en dehors de l’enseignement supérieur et de la recherche. Or les docteurs ont un rôle fondamental dans la société car ils sont formés pour appréhender la complexité du monde et créer des théories pour répondre aux problèmes nouveaux auxquels notre pays est constamment confronté. C’est vrai aussi en sciences humaines et sociales. Prenons l’impression 3D. Elle va complètement révolutionner l’industrie manufacturière et donc le marché du travail dans les 15 ans à venir. Cette transformation doit être anticipée pour ne pas être vécue comme une crise. Avoir des filières scientifiqueï€s attractives c’est préserver notre capacité d’anticipation technologique et sociale.