Consultant auprès d’un cabinet de conseil aux acteurs publics (Sémaphores – Groupe Alpha), Patrick Loire est spécialiste des questions de développement économique et d’innovation. Il a piloté de nombreux travaux sur cette thématique en partenariat avec de grandes associations d’élus territoriaux (ARF, AMGVF).
Quelles sont les forces de l’organisation actuelle des territoires dans notre pays?
C’est d’abord la qualité des grands services publics rendus, pour beaucoup à l’actif d’une organisation « unificatrice » pensée en 1789 d’un Etat, de départements et de communes. Depuis, l’organisation territoriale française a montré, avec les décentralisations initiées en 1982, une autre facette : celle de sa capacité d’initiative locale, notamment dans le champ du développement économique, l’aménagement, le tourisme, la culture, la formation. Mais ces forces sont aujourd’hui menacées par une complexité institutionnelle et financière au sein de cette organisation plurielle (Etat, département, communes, régions, intercommunalités), qui crée des difficultés croissantes pour s’adapter aux nouvelles donnes géo-démographiques, aux nouveaux besoins de services et aux nouvelles technologies.
La réforme territoriale était censée clarifier les missions des différents acteurs : qu’en est-il?
Une meilleure lisibilité des politiques publiques était effectivement attendue par une clarification des rôles entre les différentes collectivités et l’Etat. Le renforcement du rôle des régions et la suppression de la clause de compétence générale vont dans ce sens. Il est un peu tôt pour juger et nous en verrons la portée réelle à partir de 2017. Mais constatons que de nombreuses ambiguïtés persistent et ne contribuent pas à la clarification. Certaines compétences restent partagées (numérique, tourisme, éducation, enseignement supérieur et recherche). Dans le champ de l’économie, la loi a aussi fortement renforcé les métropoles. Comment vont- elles s’articuler avec les régions? Sans compter l’Etat, dont on voit bien le rôle déterminant dans les territoires en crise ou sur les grandes filières…
Les lieux de décisions ne sont-ils pas trop éloignés des citoyens?
Les grandes villes ou métropoles concentrent 80% des emplois salariés et 80 % des habitants. En y concentrant les pouvoirs politiques et les administrations, la réforme prend acte de ce constat, l’accompagne voire l’accélère. Derrière les chiffres, il faut toutefois faire attention à certaines réalités peut-être un peu différentes. Car la proximité apparente entre les centres de décision et les lieux de vie n’est pas à elle seule garante de la prise en compte des citoyens dans les décisions publiques. Les grandes agglomérations et métropoles connaissent en leur sein des zones où l’administration et les centres de décision ont du mal à se maintenir. D’autre part, comment s’adresser aux 20% de nos concitoyens des zones rurales et péri-urbaines, leur garantir une prise en compte et des services publics?
Justement, n’y a-t-il pas un risque d’inégalité d’accès aux services publics?
Le problème de l’inégalité en matière d’accès aux services publics n’est pas nouveau. La question est de savoir si la réforme est de nature à les résorber ou pas, voire à les accroître. Le risque existe. L’éviter renvoie à deux conditions. Celle de l’intelligence collective entre les territoires notamment dans les futures CTAP (Conférence Territoriale de l’Action Publique). Et celle des moyens ! Les meilleures intentions du monde n’auront que peu d’impact si les moyens ne suivent pas. Et le risque d’une application inégalitaire de la baisse des dotations est réel. Enfin de bons investissements numériques tant dans les infrastructures que dans la formation des agents comme les bénéficiaires, peuvent contribuer à réduire ces inégalités.
Les acteurs publics sont-ils suffisamment préparés et accompagnés dans cette mutation ?
Le choix d’un découpage de l’acte de décentralisation en 3 textes (et autant d’allers-retours avec le parlement) n’aura pas aidé à produire une anticipation d’ensemble de la nouvelle organisation des territoires. En deux ans, les départements disparaissaient et réapparaissaient. La clause de compétence générale, supprimée par l’exécutif précédent, a été rétablie au début du mandat puis supprimée à nouveau ! Difficile de se préparer dans ces conditions. En termes d’accompagnement, la donne paraît variable. Au sein de l’Etat, l’accompagnement existe avec des dispositions ad hoc mais sur un rythme très soutenu voire d’urgence avec par exemple une étude d’impact menée en un mois ! Les processus sont bien plus disparates au sein des collectivités et c’est un écueil qu’il faut traiter pour celles devant se rapprocher (régions et EPCI). Dans tous les cas, absence d’anticipation et accompagnements courts ne vont pas faciliter des mobilités fonctionnelles ou géographiques « douces », ce qui est l’un des objectifs communs du législateur et des collectivités territoriales concernées.