Voici le courrier adressé ce jour par Bernadette Groison, Secrétaire Générale de la FSU aux parlementaires concernant le projet de loi de décentralisation.


Les Lilas, 24 juin 2014

Le président de la république a confirmé sa volonté d’une transformation profonde de l’organisation territoriale de la France basée sur le renforcement des intercommunalités, des régions et l’affirmation des métropoles. Après la loi MATPAM votée en décembre 2013, les deux projets de loi présentés au conseil des ministres du 18 juin organisent cette transformation.

Depuis deux ans se succèdent des déclarations contradictoires (sur l’avenir des départements par exemple), des projets de lois sont publiés puis abandonnés ou profondément transformés. Concernant par exemple la clause générale de compétence, le gouvernement a changé trois fois de position en deux ans.

L’accélération récente de la réforme territoriale dessaisit la société du nécessaire débat démocratique. Elle heurte même le processus engagé avec l’actuel avant-projet de loi.

Même si des consultations ont été menées (partis politiques et associations d’élus), du temps est nécessaire pour un débat plus large sur une réforme qui a pour ambition une redéfinition de l’architecture territoriale du pays. Et ce y compris avec les représentants-es des salarié-e-s. Or, jusqu’ici ils sont consultés essentiellement lorsque la loi y fait obligation.

L’examen du premier projet de loi est prévu selon une procédure accélérée et les CESER sont consultés en urgence. Pourtant, les salarié-e-s, comme les citoyennes et citoyens vont ressentir les effets dans leur vie quotidienne de ce nouveau paysage institutionnel. Il est donc indispensable que la consultation des organisations syndicales se fasse dans de bonnes conditions.

L’empressement à modifier la carte des régions, à délester les départements, à multiplier par quatre le seuil des intercommunalités contribue encore plus à obscurcir un débat déjà si peu existant.

La FSU conteste la préoccupation économique qui sous-tend ce projet, telle que l’ont présenté le président de la République et le premier ministre : augmenter la compétitivité des territoires dans le cadre de la concurrence économique européenne, inscrire la réduction des dépenses publiques, y compris pour les collectivités territoriales, dans le cadre du pacte de responsabilité et du pacte de stabilité européen dans lequel la France est engagée.

La FSU considère que les politiques publiques sont plus que jamais indispensables. Cela nécessite, au préalable, de s’interroger sur les domaines qui relèvent du rôle de l’État et sur ceux qui relèvent des collectivités. L’Etat s’est parfois défaussé ces dernières années sur les collectivités territoriales sans chercher à contrôler ni à assurer que les actions soient bien mises en œuvre. Il a ainsi contribué à accroître des inégalités.

La suppression de la clause générale de compétence devrait permettre la clarification des rôles des différents acteurs mais elle interroge en même temps sur ce qu’il adviendra des missions qui ont été délaissées par l’Etat et que les régions et les départements ont assumées au titre de cette clause.

La FSU continue de considérer que tout nouvel acte de décentralisation doit s’appuyer sur un bilan des trois décennies de décentralisation et constituer un rendez-vous autour des questions sur les rôles de l’État et des collectivités territoriales.

Des questions primordiales ne peuvent être éludées : quels sont les services publics nécessaires pour répondre aux besoins de la population ? À quels niveaux doivent s’exercer les différentes missions ? Avec quels financements ? Quelles péréquations, quelle égalité territoriale et égalité effective d’accès aux services publics pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire ?

Cela nécessite de clarifier et définir la répartition des compétences utiles aussi bien aux usagères et usagers qu’aux personnels, de clarifier la gestion financière et administrative ; de traiter les éléments de fiscalité et aussi de la péréquation financière en particulier entre les régions ; de respecter le pouvoir des citoyennes et citoyens et de conforter le rôle et les missions des services publics et des personnels (voir les enjeux en annexe à ce courrier). C’est sur cette base qu’il est possible d’en déduire les structures territoriales nécessaires ainsi que leurs limites géographiques.

Pour la FSU, la question des agents, de leurs statuts et de leurs missions est inséparable du développement des services publics. Ainsi, l’État doit rester garant des missions de services publics à accomplir, des politiques publiques à mettre en œuvre. Il doit pouvoir jouer son rôle de régulation, de contrôle et de prospective sans écarter qu’il puisse être acteur du fonctionnement de certains d’entre eux.

Les discussions qui vont s’ouvrir maintenant au Parlement doivent être l’occasion d’un débat sérieux et approfondi sur le rôle de l’État, des collectivités territoriales, et sur le renforcement des services publics sur l’ensemble du territoire.

Nous comptons sur vous pour réorienter le débat en ce sens.

La FSU est disponible pour tout échange que vous jugeriez utile pour approfondir cette question.

Soyez assuré, «civilité», de notre attachement aux services publics.

Je vous prie de croire, «civilité», en l’expression de mes salutations respectueuses.

Bernadette Groison

Secrétaire Générale

Annexe – Pour la FSU, 5 enjeux majeurs autour de cette nouvelle réforme :

1. Toute nouvelle réforme doit améliorer l’accès aux services publics pour les usagers et conforter les missions des agents.

Le cœur de la réforme ne peut donc pas être les conditions de la baisse de la dépense publique.

En matière d’éducation, quels sont ainsi les progrès attendus par le transfert des collèges aux régions ? Quelles seront les conséquences des fusions de régions sur les lycées et les universités,

2. Toute nouvelle réforme doit permettre d’améliorer la démocratie locale.

Si le président de la République se félicite d’une diminution du nombre d’élus, la loi n’aborde pas les questions de démocratie. Cet aspect n’est pas traité mis à part les élections pour les nouvelles régions.

Ainsi, quel sera l’avenir des CESER ? Quels seront les différents niveaux de démocratie locale et avec quels acteurs ? Quels moyens pour les représentant-e-s des salarié-e-s devant de nouveaux secteurs et de nouvelles responsabilités ?

3. Toute nouvelle réforme doit permettre de réduire les inégalités territoriales et permettre aux régions et départements de répondre aux besoins de la population.

Cette amélioration passerait d’abord par une réforme fiscale et par une péréquation, et des solidarités, entre les territoires. La taille d’une région n’est pas l’élément premier. Cet aspect élude celui des péréquations et des redistributions entre toutes les régions.

Le discours sur la compétitivité des régions est inquiétant. Compétition et concurrence n’ont jamais été facteurs d’égalité. Fusionner des régions qui cumulent des difficultés économiques ne va pas dans le sens de la réduction des inégalités territoriales et certains rapprochements prévus peuvent au contraire accroître les inégalités.

Les 14 hypothétiques nouvelles régions sont loin d’être égales en termes de développement économique. La question donc des critères présidant à ces évolutions se pose.

4. Toute nouvelle réforme aura des conséquences sur les comptes publics.

Où se feront les économies annoncées ? Sur les crédits de fonctionnements ? Sur les crédits d’investissements ? Sur la masse salariale et les personnels ?

La réalité et la hauteur des économies possibles interrogent. Certain-e-s élu-e-s contestent même l’idée d’économies et parlent d’un coût supplémentaire…

La question des doublons et du « mille feuilles » ne doit pas être un prétexte pour réaliser des économies sur les missions des agents et sur les emplois nécessaires.

A partir de l’exemple des collèges et des lycées, nous pouvons considérer que la fusion éventuelle des régions, à laquelle s’ajoutera le transfert des collèges aux régions, va conduire à la multiplication en moyenne par 4 du nombre d’EPLE gérés par les régions. Que deviennent les services « collèges » des départements ? Des économies sont-elles attendues (mutualisation des services, des commandes, externalisation de missions d’accueil, de restauration, d’entretien) ?

5. Toute nouvelle réforme doit conforter et améliorer la situation des agents de la fonction publique territoriale.

Les personnels sont actuellement soumis à des annonces contradictoires et anxiogènes.

Des réponses doivent leur être apportées rapidement.

Cette nouvelle réforme doit mesurer les conséquences qu’elle aura sur les personnels concernés. Quels impacts des mutualisations de services, des externalisations, des privatisations éventuelles ?

Les transferts de personnels ne peuvent se faire qu’avec leur accord et le maintien de leurs droits et avantages sociaux. Toute harmonisation devra donc se faire sur le régime le plus favorable en matière de temps de travail, de jours de congés, de régime indemnitaire et de facilitation de mobilité choisie.