Discours de Bernadette GROISON
Secrétaire Générale de la FSU
Congrès de Lille – 5 février 2010
Il me revient de clore ce sixième congrès.
Le CDFN vient de me confier la tâche de succéder à Gérard au secrétariat général. Représenter la FSU c’est à la fois impressionnant et très motivant.
Au cours de cette semaine, des journalistes m’ont demandé « mais pourquoi faites-vous cela ? » J’aurais pu répondre que militer c’est beaucoup de satisfaction… Je crois surtout que faire du syndicalisme, c’est agir, c’est ne pas accepter la réalité telle qu’elle est mais avoir la volonté de la transformer. C’est finalement dans la période avoir l’impertinence de penser que nos valeurs, nos revendications et nos luttes sont essentielles pour que la société soit plus juste, plus solidaire, pour que le progrès social bénéficie bien à chacun et à tous. « Pour que demain soit meilleur qu’aujourd’hui » comme le disait DIATKINE.
Ce congrès était mon sixième congrès de la FSU.
J’ai grandi avec la FSU car je n’ai milité qu’à la FSU (et au SNUipp bien sûr…) puisque je suis arrivée dans le syndicalisme au moment de la scission. Hasard de l’histoire… Et je dois dire que la construction du SNUipp et de la FSU ont été pour moi, et je le sais aussi pour beaucoup d’autres, une belle aventure au cours de laquelle j’ai beaucoup appris. Quoi de plus passionnant que de participer à la création d’une organisation syndicale ! Les heures de discussions pour se mettre d’accord sur des mandats, sur les statuts, sur comment nous allons travailler… Mais ce qui m’a séduit très vite dans cet engagement est l’ancrage sur notre métier et cette exigence de ne rien faire sans les personnels, sans tous les personnels. Il s’agissait de « changer de point de vue sur le syndicalisme » comme le disait un de nos slogans de l’époque.
Je ne sais pas si nous mesurons toujours bien d’ailleurs ce que nous avons fait en 18 années d’existence passées ensemble. Dix-huit années c’est court dans la vie d’une organisation et si nous nous souvenons des débats des premiers congrès, de nos ambitions, nous verrons le chemin parcouru : nous avons inscrit dans l’histoire du mouvement syndical français un outil syndical original, un syndicalisme qui a à cœur d’articuler actions et revendications, avec les personnels, et qui s’inscrit dans le syndicalisme de luttes et de transformation sociale.
Tout cela nous paraît banal à nous qui le pratiquons tous les jours et pourtant c’est ce syndicalisme particulier qui a permis à la FSU d’être reconnu par les personnels et de devenir l’organisation majoritaire de l’éducation, de l’enseignement supérieur et la recherche, la première fédération dans la fonction publique d’Etat, incontournable pour qui que ce soit et pas que sur les sujets qui nous concernent mais également sur des sujets où certains ne souhaiteraient pas nous entendre.
Et si nous voulons aujourd’hui un syndicalisme plus fort, plus rassembleur encore et si nous réaffirmons notre volonté de travailler à cette tâche avec tous ceux qui le souhaitent, en même temps cette FSU que nous avons construite nous n’y renoncerons pas parce qu’elle a ouvert la voie à une forme de syndicalisme qui correspond aux défis de notre époque. Car la question que nous avons traitée à ce congrès est bien de cet ordre là : de quel outil syndical avons-nous besoin pour relever les défis du XXIème siècle ?
Et pour cela il est évident que nous continuerons à chercher ce qui rassemble plutôt que ce qui divise. Car c’est un atout majeur pour construire un rapport de force pour imposer des transformations sociales. Et d’ailleurs plusieurs intervenants le rappelaient dans ce congrès : le U de notre fédération ne veut pas dire unique (quoique…), ne veut pas dire unifié, mais veut bien dire UNITAIRE !
Rassembler sur des idées, des valeurs, des projets, des revendications, des formes d’action. C’est en ce sens que notre congrès renouvelle son appel à travailler en commun avec tous ceux qui le souhaitent.
Pour poursuivre sur la voie que nous avons ouverte nous devons conforter certains aspects de notre activité syndicale. J’évoquerais rapidement quelques préoccupations que nous devrons travailler ensemble.
La syndicalisation tout d’abord. Si dans le secteur public, et particulièrement dans les secteurs qui nous concernent plus massivement, comme l’éducation, les taux de syndicalisation sont bien supérieurs à d’autres secteurs et notamment au secteur privé, nous ne pouvons pas nous en contenter. Nous devons poursuivre cette bataille quotidienne, de terrain, pour gagner des syndiqués. Parce que c’est un syndicalisme de masse et de terrain que nous voulons, parce que nous avons vocation à porter un syndicalisme majoritaire et qu’avoir pour cela une base importante de syndiqués est indispensable pour aller chercher ceux qui ne sont pas avec nous.
Nous devrons aussi être particulièrement attentifs aux jeunes collègues qui entrent dans le métier. Ils ont forcément leur place avec nous. Non pas pour faire tendance, ou pour faire du jeunisme, ou encore pour traiter de la question essentielle du renouvellement des militants mais bien parce que notre organisation doit veiller à bien représenter la réalité sociologique de nos professions. Et aussi parce que je ne crois pas au couplet qui serine que les jeunes seraient moins motivés, auraient moins de valeurs et seraient moins combatifs. La jeunesse a prouvé plus d’une fois qu’elle était capable de se mobiliser et se battre.
Ces questions doivent nous engager à réfléchir davantage à la manière dont nous traitons les préoccupations diverses de nos collègues, dont nous leur parlons des questions syndicales, à réfléchir également aux formes d’action que nous proposons, peut-être pour inventer de nouvelles pratiques et conjuguer mieux actions et propositions. Il faut que cela fasse sens pour chacun, que chacun se sente concerné par l’action collective, que chacun ait envie de militer avec nous.
Nous devrons aussi continuer à travailler à la place des femmes dans le monde du travail, ce qui soulève nombre de questions comme celles de l’organisation sociale ou des modèles culturels, et aussi travailler à leur place dans notre fédération. S’il n’y a pas de solution magique, il nous reste le choix de la volonté pour faire en sorte que les femmes soient à leur juste place présentes à tous les niveaux de la fédération.
En ce qui concerne le fonctionnement de la FSU, nous avons réussi pendant ce congrès à avancer pour renforcer l’exécutif de la fédération. Nous allons mettre en place et faire vivre un secrétariat national élargi. Je m’en et nous en félicite car le souci était bien, pour les uns et les autres, de faire évoluer notre fonctionnement pour permettre une meilleure efficacité de la fédération qui a vu son champ d’intervention s’agrandir au fil des années et nous ne pouvons que nous en réjouir. Ce secrétariat élargi sera une aide précieuse pour travailler mieux avec tous (et je dis bien tous) les syndicats de la fédération, pour mieux y intégrer les sections départementales. Cela permettra aussi de mieux articuler le travail des instances avec les secteurs de la fédération.
A la sortie de ce congrès des sujets lourds nous attendent.
La question des retraites que nous poserons dès lundi lors de la réunion interprofessionnelle. Personne ne comprendrait que nous ne soyons pas nous, les organisations syndicales, à l’offensive sur cette question. Et si nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans un débat tronqué et étriqué qui ne prendrait par exemple que la mesure du paramètre de l’âge de départ à la retraite, nous devons nous-mêmes poser le débat de société. Oui nous vivons plus longtemps, et nous ne pouvons que nous en réjouir, oui cela nous invite à revoir le rôle de chacun dans la société à tout âge, oui cela repose la question des solidarités générationnelles en d’autres termes car il faut trouver de l’argent c’est pourquoi la question des retraites nécessite de corriger la situation sociale actuelle. Il faut traiter de la situation de l’emploi, de l’emploi des jeunes comme celle des seniors (40% des salariés sont en activité à 59 ans), de la question du chômage, des modes de financement, de la nécessité à prendre en compte les années d’étude, la pénibilité des métiers… La FSU s’engage à mener une grande campagne d’opinion afin de ne pas se laisser piéger ni par un calendrier ni par un débat décidé à l’avance, pour mener le débat avec tous les salariés, chômeurs et précaires en ayant en tête l’ensemble des paramètres, une campagne pour sensibiliser les salariés, la société sur l’idée que l’on peut faire autrement qu’allonger l’âge du départ à la retraite. Nous devons être à l’offensive très vite sur cette question afin d’être en capacité de peser sur les choix qui seront faits et de mobiliser pour les imposer si nous n’étions pas entendus.
Nous poursuivrons aussi notre engagement pour la défense et le développement des services publics. Nous devons réussir les Etats Généraux dans lesquels nous sommes engagés, nous devons être moteur dans les initiatives locales. Dans une société en crise, où les inégalités entre les individus mais aussi entre les territoires ne cessent de se creuser, alors que les sondages nous montrent régulièrement combien les Français redoutent la précarisation, quoi de plus novateur que de dire qu’il faut faire jouer les solidarités et qu’il faut assurer à chacun l’accès à tout ce qui est vital. Et à l’issue de ce congrès nous sommes prêts là aussi à mener les débats sur ce qui doit aujourd’hui en France relever des services publics, à identifier les besoins de ces différents services, à prendre la mesure pour cela des conditions environnementales à respecter comment il est possible de donner aux services publics les moyens d’assurer leurs missions pour des services de qualité aux usagers. C’est pourquoi nous devons défendre le statut de la Fonction publique « une composante essentielle du pacte républicain » comme le dit souvent Anicet LE PORS. Car la loi mobilité avec ce fameux projet de décret qui permettrait les licenciements dans la Fonction publique constitue une remise en cause inacceptable des statuts de la Fonction publique. Or, les missions et les valeurs des services publics sont indissociables.
Enfin, ce congrès nous engage à poursuivre nos actions dans l’Education… Nous sommes de ceux qui croyons en la capacité de chaque enfant, de chaque jeune de réussir. Encore faut-il leur en offrir la possibilité et ça c’est de la responsabilité de l’Etat et non pas le fait de la fameuse « égalité des chances ». Il est possible là aussi de déjouer les déterminismes sociaux, de réduire les inégalités, encore faut-il en avoir la volonté. Et nous avons pour notre part cette volonté. Et notre idée de culture commune reste plus que jamais pertinente, et d’autant plus peut-être encore dans une période difficile comme celle que nous traversons aujourd’hui, car à l’inverse du débat intolérable qui a été lancé sur l’identité nationale, la culture commune c’est ce qui nous fonde, ce qui donne sens au vivre ensemble dans une société.
Et puis nous devrons être vigilants sur la situation des droits et libertés. Il y a trop de remise en cause de chacun de nos droits, de criminalisation des actions collectives, de restriction des espaces de liberté, de remise en cause des principes fondamentaux (au sens qu’ils nous fondent) comme celui de la laïcité… Une société où chacun se replie sur des identités parcellaires, une société où chacun a peur de l’autre, une société qui ghettoïse les individus, passe plus de temps à les surveiller, et les expulser, est une société qui va mal et qui ne peut pas regarder vers l’avenir, qui prend le risque de ne plus se supporter. Nous continuerons à être de tous les combats – et je pense entre autres au travail que nous menons avec RESF et dans le collectif des travailleurs sans papier – pour que les libertés individuelles et collectives soient le phare de notre vivre ensemble.
Mais au-delà des questions d’actualité nous devons poursuivre notre réflexion sur bien d’autres sujets comme nous l’avons décidé pendant ce congrès. Nous voyons bien qu’il nous faut aller plus loin par exemple sur les questions environnementales. Ainsi, la crise écologique bouleverse un peu nos schémas de pensée. Elle interroge les modes de production et donc nous interroge, nous, organisation syndicale, sur des questions que nous ne traitions guère ainsi jusqu’ici. Il ne s’agit non plus seulement du partage des richesses mais également de la manière dont on les produit donc des choix à faire en termes d’emploi, d’organisation sociale, de mode de vie.
De même il est urgent de faire porter nos efforts pour mieux intégrer et travailler les questions en regardant et en prenant en compte ce qui se passe au-delà de nos frontières. Les politiques menées à l’échelle européenne et internationale, la mondialisation confère une responsabilité au syndicalisme, à sa capacité à y répondre et à s’organiser à ces niveaux là aussi. Et il s’agit également de permettre à nos collègues de s’approprier les préoccupations syndicales dans cette dimension internationale.
Dernier exemple de question à travailler, il s’agit de celle du travail : comment redonner du sens au mot travail ? Comment faire en sorte que notre professionnalisme soit mieux reconnu ? Comment faire pour que le travail ne soit pas source de souffrance mais d’émancipation ?
Enfin Gérard disait dans son discours d’ouverture son regret de ne pas avoir eu la satisfaction de pouvoir porter davantage des propositions. Et il a raison. Pourtant des idées et des propositions nous en avons. Nous avons écrit à chaque congrès des plates-formes qui commencent par POUR… mais elles n’apparaissent pas assez clairement. Bien sûr, la période que nous traversons ne nous aide pas. Les réformes régressives proposées nous placent en situation de dire non, de nous opposer, d’empêcher les dérives. Et nous allons continuer à nous opposer aux réformes régressives car nous ne nous résignerons pas aux récessions. Alors, les propositions dans ce contexte sont difficiles à faire entendre. Et par ailleurs, les organisations ne sont pas vraiment considérées comme des partenaires sociales malgré les discours qui tentent de le faire croire. Nous sommes peu consultés, notre avis compte parfois bien peu et j’ai souvent entendu, notamment dans les congrès préparatoires, des camarades élus dans des commissions paritaires se plaindre de la dégradation de cette situation. Oui nous avons malheureusement davantage l’occasion de dénoncer que de proposer. Oui le gouvernement nous confine dans ce rôle pour nous minorer. Le monde est simple : les syndicalistes sont des gens qui ont pour fonction de dire non et d’autres (eux) sont les modernes qui veulent faire avancer les choses… Et bien nous devrons démentir ce simplisme.
Nous avons installé la FSU dans le paysage syndical, nous avons fait la démonstration de notre capacité à mobiliser contre tous les mauvais coups, je crois que maintenant nous devons faire de la FSU une force de propositions incontournable et indispensable pour les personnels.
Et j’ai bien entendu lors du débat général de lundi que de nombreux camarades souhaitaient que nous alliions mieux action et propositions pour, comme l’ont dit certains, « continuer à porter les espoirs que la FSU a suscité », parce que « nous avons besoin d’une FSU offensive » car il s’agit bien de gagner des droits nouveaux, d’obtenir des transformations sociales profondes.
Pour cela l’enjeu est bien d’arriver à redonner confiance à tous les salariés dans l’action collective.
Il nous faut rendre l’espoir aux salariés, leur donner de bonnes raisons de nous rejoindre (et ce n’est pas sans lien avec ce que j’évoquais précédemment sur la syndicalisation et sur les jeunes).
Pour redonner cet espoir et cette confiance, il faut sortir du fatalisme dans lequel certains voudraient nous enfermer pour mieux faire passer leurs mauvais coups. Oui nous pouvons faire autrement que ce soit pour les retraites, pour l’Ecole, pour les services publics, pour la protection sociale, pour l’emploi, pour la santé, la justice, etc. Oui il s’agit bien de choix de société pour savoir si l’on réserve la part la meilleure à quelques uns on si on décide de la partager entre tous.
Cette conception de l’égalité et de la justice est d’autant plus cruciale en période de crise lorsque sont mises à mal les solidarités. La période que nous traversons n’est pas que secouée par la crise (financière, économique, écologique, sociale…) mais elle est déstabilisante car nous traversons une période où les valeurs et les principes qui fondaient jusqu’ici le vivre ensemble dans la société (et qui certes étaient plus ou moins bien appliqués à chacun dans notre société) sont remis en cause (et j’ai déjà dit combien le débat sur l’identité nationale et les propos tenus sur la laïcité sont en ce sens choquants et inquiétants).
Alors oui, nous mettrons toutes nos forces pour que la FSU soit une force de propositions. Nous en avons besoin pour convaincre les personnels, l’ensemble des salariés mais aussi les usagers, les citoyens tout simplement, que d’autres possibles existent, qu’ils sont à portée de main et qu’il ne tient qu’à nous, de les imposer.
Pour tous ces combats, je compte sur vous !