La dette publique de la France a dépassé, à la fin du 2ème trimestre 2014, les 2 000 milliards d’euros. C’est au nom de cette dette qu’est menée une politique de réduction drastique des dépenses publiques et vous allez être amenés à vous prononcer sur le projet de loi de finances pour 2015 qui préfigure une politique qu’il faut oser qualifier d’austéritaire.


Or, la dette n’est pas due à un excès de dépenses publiques mais à une insuffisance des recettes fiscales. Le débat qui s’ouvre au parlement sur ce projet de loi de finances ne peut faire l’impasse sur les origines de la crise économique et financière que nous subissons depuis 2008. Ce ne sont pas les citoyens qui coûtent cher, ce ne sont pas les salariés ni les retraités qui en sont la cause, et les dépenses d’Etat sont autant d’investissements indispensables au bon fonctionnement de notre société.

L’origine de cette crise se trouve dans celle de la finance et de la spéculation. Seule une politique plus re-distributive, plus juste et porteuse d’avenir peut y mettre un terme. Cela n’est pas envisageable sans une réelle réforme fiscale guidée par la volonté de répartir mieux et de manière plus équitable les richesses produites.

Mais les mesures fiscales avancées par le gouvernement ne vont pas en ce sens. Pour compenser l’annulation par le Conseil constitutionnel de la modulation des cotisations vieillesse et maladie des salariés les plus modestes, il a décidé de supprimer la première tranche d’impôt sur le revenu. Il baisse dans le même temps le seuil d’entrée de la (nouvelle première) tranche au taux de 14%. Pour assurer une entrée progressive dans l’impôt, il porte par ailleurs le plafond de la décote à 1135 euros pour les célibataires et à 1870 euros pour les couples… Ces nouvelles dispositions sur l’impôt sur le revenu constituent une diminution dans les caisses de l’Etat de 3,2 milliards d’euros mais la TVA et la TICPE rapporteraient respectivement 4,8 milliards et 1,2 milliards d’euros de plus…

Le gouvernement annonce que trois millions de foyers regagneraient ainsi un peu de pouvoir d’achat en cessant d’être imposables sur le revenu ou en évitant de le devenir.
Mais ces foyers resteront pénalisés par une fiscalité indirecte particulièrement injuste puisqu’elle touche les ménages de manière indifférenciée, sans tenir compte de leurs capacités contributives. Le système de prélèvement français ne sera donc pas plus juste après ce bricolage. En l’absence d’une réforme fiscale globale, la suppression de la première tranche contribuerait à délégitimer l’impôt sur le revenu alors qu’il faut au contraire lui redonner une place centrale en renforçant de manière significative sa progressivité (rétablissement des tranches intermédiaires supprimées, création de nouvelles tranches supérieures et relèvement significatif du taux marginal d’imposition).

Cette situation justifie d’autant, pour la FSU, l’examen d’une réelle réforme fiscale.
Dans ce cadre, la question des aides aux entreprises doit être reposée de manière urgente car sinon c’est accepter à terme d’aller dans l’impasse. Tous les indicateurs montrent par exemple que ce sont les grandes entreprises qui sont les principales bénéficiaires du CICE. De même le CIR manque à ses objectifs alors que la recherche publique est financièrement étranglée. L’ensemble des aides (40 milliards d’euros d’argent public) octroyé sans discernement, contrôle ni conditionnalité, ne produit de toute évidence pas les résultats attendus en terme d’emplois et de retour sur investissement. Il faut y remédier.

Les conséquences du choix de baisse des dépenses publiques :
50 milliards d’euros d’économies sont prévus d’ici 2017, dont 21 milliards pour 2015. L’État et ses agences contribueraient à hauteur de 7,7 milliards d’euros, la Sécurité sociale à hauteur de 9,6 milliards d’euros (dont 3,2 pour l’assurance maladie) et les collectivités territoriales verraient leurs dotations réduites de 3,7 milliards d’euros.
De tels choix auraient des effets dévastateurs sur l’emploi, les investissements et les services publics et dégraderaient la qualité des services rendus aux usagers, tout en renforçant les inégalités sociales et territoriales.

Ce serait aussi faire le choix de ne pas se donner les moyens d’améliorer les conditions de travail des agents de la Fonction publique, d’amputer leur pouvoir d’achat en maintenant le gel du point d’indice, en réduisant fortement l’enveloppe pour les mesures catégorielles, en supprimant plus de 1200 emplois (soit une économie de 1,4 milliard d’euros sur la masse salariale de ses fonctionnaires.

De tels choix sont incompréhensibles à un moment où les besoins de la population augmentent notamment en raison de 2 facteurs qui devraient réjouir tout un chacun : un taux de natalité exceptionnellement élevé par rapport à nos voisins européens et une augmentation de l’espérance de vie.

Comment alors prendre mieux en charge les besoins de la petite enfance, le nécessaire accompagnement des personnes âgées et/ou dépendantes, comment assurer la réussite de tous les élèves et étudiants et l’augmentation du niveau des qualifications, mais aussi la formation professionnelle ou encore la transition écologique avec une telle loi de finances ?

Vous examinez ou allez examiner d’ailleurs d’autres projets de loi (Adaptation de la société au vieillissement de la population, Transition écologique…) qui nécessiteront un soutien financier pour réussir…
Vous le savez, l’attente sociale est forte et légitime : vivre mieux au quotidien ! Or, les économies proposées pèseront lourd sur nombre de salariés, de jeunes, de retraités et sur les choix à venir.

1. L’Etat se recroqueville ainsi sur ses missions régaliennes sans couvrir tous les besoins

Education nationale, Enseignement supérieur et Recherche : Avec 9421 créations d’emplois, des crédits à hauteur de 65,02 milliards d’euros en augmentation de 2,4% par rapport à 2014 et une programmation confirmée de 54000 emplois créés entre 2012 et 2017, l’éducation fait toujours figure de privilégiée. Cet investissement est pourtant nécessaire pour répondre aux défis éducatifs à relever : la réussite de tous les jeunes et l’élévation du niveau de qualification.

Pour autant, ce ministère n’échappe pas totalement aux mesures d’économies : l’austérité salariale s’appliquera aux personnels de l’éducation comme à tous les fonctionnaires. Par ailleurs, si ce projet programme des recrutements d’enseignants en 2015 à hauteur de 25000, il ne restera, une fois les départs à la retraite couverts et la hausse démographique des élèves compensée, que peu d’emplois pour transformer et améliorer l’Ecole. De plus, la crise de recrutement qui trouve notamment sa source dans la faiblesse des rémunérations mais aussi dans les conditions d’exercice du métier et d’entrée dans le métier souvent difficiles, ordonne des mesures autrement plus ambitieuses pour que les emplois programmés trouvent une traduction sur le terrain.

En outre, les créations d’emplois de personnels administratifs ou médicaux sociaux restent loin de ce qui est nécessaire.

Quant aux 45 millions d’euros supplémentaires du budget de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, ils seront absorbés par l’augmentation du nombre d’étudiants boursiers.

Justice : Autre secteur prioritaire, le budget prévoit 100 millions d’euros supplémentaires. Cela ne permettra pas pour autant à la France de rattraper son retard (seulement 10,7 juges pour 100 000 habitants contre 21,3 en moyenne dans l’Union européenne).

Culture : L’engagement de ne plus opérer de coupes est respecté mais le budget subit une baisse de 0,9% en euros constants.

Ecologie : Ce ministère subit une nouvelle érosion de 500 millions d’euros malgré le projet de loi sur la transition énergétique. Il s’agit là d’une contradiction majeure et d’un handicap certain pour mettre en œuvre les mesures qui seront prises.

Le budget de la mission emploi baisse de 300 millions alors que la situation du chômage est toujours aussi préoccupante.

2. Le programme d’économies impose aussi des restrictions sur le budget de la Sécurité sociale : 21 milliards d’euros d’économies à réaliser d’ici 2017 !

Après la branche vieillesse qui a fait l’objet de mesures dans le cadre de la loi portant réforme sur les retraites, ce sont les branches famille et santé qui sont fortement mises à contribution avec respectivement 700 millions et 3,2 milliards d’euros d’économies.

Si le gouvernement a renoncé au gel qu’il avait initialement prévu de l’ensemble des prestations familiales en 2015, ce dont la FSU se félicite, il a annoncé toute une série de mesures visant à raboter ces prestations de 700 millions d’euros. Les deux mesures les plus emblématiques consistent à réduire la prime à la naissance à partir du deuxième enfant et le congé parental.

La prime à la naissance versée au 7ème mois de grossesse à environ 80% des familles serait divisée par trois et réduite à 308 euros à partir du deuxième enfant.
Cette mesure qui devrait dégager 250 millions d’euros dès 2015 mettrait en difficulté les familles concernées. On voit mal comment elle pourrait être justifiée par une quelconque recherche d’équité alors que cette prestation est déjà soumise à conditions de ressources.

Le congé parental fait également l’objet d’une nouvelle réforme, quelques mois seulement après l’adoption de la loi du 4 août 20147 « pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ». Celle-ci réduit la durée de versement de la prestation si le père ne prend pas au moins 6 mois de congé sur les trois ans autorisés. Ce minimum de six mois serait augmenté à partir du 2ème enfant.

Derrière le paravent bien opportun de l’égalité femme/homme, cette mesure risque de conduire les hommes, qui ont souvent un salaire supérieur aux femmes, à ne pas prendre tout bonnement leur congé parental. Le gouvernement estime qu’il pourrait économiser entre 300 et 400 millions d’euros avec cette seule mesure puisque ce congé est pris à 97% par les mères. L’objectif réel n’est donc plus de favoriser le retour des mères à l’emploi, mais de faire des économies.

La majoration unique de 64,67 euros des allocations familiales lorsqu’un enfant a plus de 14 ans sauf s’il s’agit de l’aîné d’une famille de deux enfants est repoussée de deux ans : les familles ne percevraient cette majoration qu’à partir du 16ème anniversaire des enfants concernés.
Cet « effort » demandé à toutes les familles d’enfants nés à compter du 1er janvier 2001 pénaliserait particulièrement les ménages modestes.

Les règles de calcul du capital-décès sont modifiées. Proposée au nom de l’équité, la mesure permettrait de réaliser 160 millions d’économies.
Actuellement déterminé en fonction du salaire perçu par l’assuré décédé, le capital-décès serait remplacé par un montant forfaitaire fixé par référence au Smic. Le montant versé au conjoint survivant et/ou aux orphelins pour permettre à la famille de surmonter la brutale perte de revenus consécutive au décès du conjoint ou du parent serait donc réduit si l’assuré décédé percevait un salaire supérieur au Smic.
Or, les dépenses continuent de courir, en particulier celles liées au logement, qui avaient été engagées du vivant de l’assuré décédé, en fonction des ressources dont il disposait.
Il convient de rappeler que le capital-décès est une assurance, permettant de pallier les conséquences financières du décès d’un proche, pas une prestation d’assistance dont l’objectif serait de corriger les inégalités de revenus.

En ce qui concerne la CSG, ce serait désormais le revenu fiscal de référence qui serait pris en compte par le fisc pour le bénéfice de la CSG à taux réduit à 3,8 %, et non plus le caractère imposable ou non.
Certains retraités non imposables grâce à des réductions fiscales (460 000) passeraient du taux réduit au taux plein de 6,6 %. Dans le même temps, le taux de CSG serait réduit pour les 700 000 personnes concernées par la réduction d’impôt en 2014.
On note ici un paradoxe : les réductions fiscales sont utilisées comme prétexte pour augmenter le taux de CSG pour les 460 000 personnes concernées mais elles sont maintenues pour le calcul de l’IR qu’elles doivent payer. Où est la cohérence ?

3. Du côté des dépenses santé

La hausse des dépenses de santé serait limitée à 2,1 % (contre 2,4 % pour 2014), soit le niveau le plus bas jamais programmé depuis la création de cet indicateur en 1997.
Or les besoins de santé sont importants et l’augmentation du renoncement aux soins, révélateur d’inégalités réelles dans l’accès à ces derniers, devrait plutôt guider les choix budgétaires.

Parmi les mesures annoncées, figurent notamment :
• la mise en place d’un mécanisme de régulation des prix pour certains médicaments très onéreux comme par exemple le Sovaldi (traitement contre l’hépatite C)
• le contrôle des prescriptions
• la promotion des médicaments génériques
• le développement de la chirurgie ambulatoire pour réduire la durée de séjour des patients dans les hôpitaux

Ce PLFSS ne permet pas de couvrir tous les besoins et le « reste à charge » des patients, qui s’est considérablement accru au fil des désengagements de l’assurance maladie obligatoire, reste important. Par ailleurs, la recherche d’efficience à l’hôpital continue de faire courir le risque d’une moins bonne prise en charge des patients.

Pour la FSU les dépenses de l’Etat sont autant d’investissements indispensables au bon fonctionnement de notre société. Les services publics et la Fonction publique doivent pouvoir jouer tout leur rôle dans la relance de l’activité de notre pays, dans la lutte contre les inégalités et dans l’anticipation des mutations à venir.

Améliorer la vie quotidienne notamment par l’emploi, le pouvoir d’achat et une protection sociale de haut niveau pour toutes et tous, répondre aux besoins de toutes les citoyennes et de tous les citoyens sur l’ensemble du territoire, permettre la relance dans le cadre d’un développement durable, assurer des perspectives d’avenir à toutes et tous et particulièrement à tous les jeunes…c’est à cela que doit répondre le budget de 2015.

A rebours d’une austérité qui nous mène droit dans le mur, il est urgent de conduire les réformes nécessaires pour plus de justice sociale, plus d’égalité et construire des perspectives de progrès social pour toutes et tous dans le cadre d’un développement durable.

Je vous prie de croire, Madame/Monsieur la/le député-e ou sénatrice/teur en l’expression de mes salutations respectueuses.

Bernadette Groison – Secrétaire Générale