Quel regard global portez-vous sur la politique d’éducation prioritaire menée depuis 2014?
La concertation de 2012 a mis en évidence la nécessité d’une redéfinition du métier autour du projet de réseau, du travail collectif, du lire-écrire-s’exprimer et de l’explicitation au service des apprentissages, du travail avec les familles. La publication du référentiel en 2014 et des mesures fortes comme scolarisation des moins de trois ans, maîtres+, ambitieux plan de formation, collaboration avec les chercheurs, et nouveau pilotage académique, ont créé une réelle dynamique, dont l’enquête actuellement menée par l’OZP montre les solides avancées. Malheureusement les formateurs ont très vite été réquisitionnés par la réforme du collège, les chercheurs n’ont pas été assez nombreux, et la politique menée à partir de 2017a entraîné un changement de cap, en particulier concernant les enjeux de la continuité école-collège, sans qu’on ait évalué les acquis de la refondation. Occasion manquée de tirer des enseignements et de conforter les équipes dans leur engagement.
Que pensez-vous de la proposition du rapport Azéma-Mathiot confiant aux recteurs la gestion de la priorisation de la politique éducative entre l’éducation prioritaire et la ruralité?
Les recteurs seront confrontés aux pressions des élus locaux,et devront arbitrer pour répartir des moyens entre des territoires qui ont tous des besoins, sans être pour autant comparables : les questions de climat scolaire, d’exclusion sociale, ne se posent pas dans les mêmes termes et n’ont pas les mêmes conséquences sur les résultats des élèves. Qui dit répartition dit saupoudrage. Cela revient à demander aux acteurs de l’éducation prioritaire de continuer à lutter contre l’échec scolaire en réduisant leurs moyens.
Quels devraient être selon vous les principes d’une réforme ambitieuse de l’Éducation prioritaire?
Faire connaître les outils didactiques, pédagogiques et de management qui existent et sont mal connus. L’enquête de l’OZP montre que le référentiel est très utile à ceux qui le connaissent, mais que les nouveaux acteurs l’ignorent. Il est nécessaire qu’ils s’approprient cet outil qui est fait pour eux. Il faut donc créer effectivement des temps de travail collectif et remettre en route la formation. Enseigner dans un collectif professionnel de réseau, cela s’apprend, se construit, et s’évalue. La formation coûte cher, mais il ne sert à rien de dire qu’on mène une politique de lutte contre les inégalités scolaires corrélées aux inégalités sociales si on n’outille pas les personnels nommés en éducation prioritaire. La formation est la clé de la réussite de tout système éducatif, les comparaisons internationales le prouvent, et c’est encore plus vrai en éducation prioritaire.
Interview issue de la revue POUR n°222, Février 2020; à lire ici!