Que nous dit cette crise de l’état de la société?
Emmanuel Macron se trompe du tout au tout sur ce qu’attend la société française de ses dirigeants. Un nouveau de Gaulle ou un nouveau Napoléon? Pas du tout. La France est un des pays développés où le niveau d’éducation s’est le plus élevé ces dernières décennies. Les Français sont désormais en attente avant tout de participation, d’écoute. Ils ne veulent plus du top-down ni d’une attitude jupitérienne. On pouvait croire qu’après le mouvement des Gilets jaunes Emmanuel Macron l’aurait enfin compris. Et bien non, il recommence, sur la question des retraites, à agir de manière autoritaire, non transparente et anxiogène. Alors que rien ne justifiait qu’une réforme chamboule tout.
Quelles conséquences du projet en termes d’égalité?
Le discours sur l’égalité et l’équité du projet de réforme est largement du pipeau notamment parce qu’il ne prend pas du tout en compte les écarts d’espérance de vie. Un cadre touchera ses droits 6 ans de plus qu’un ouvrier. Sur le plan de l’équité, entre ceux sortis d’une grande école à 22 ans et ceux qui auront galéré au début de leur carrière, les retraites seront très différentes même s’ils ont les mêmes revenus en fin de carrière. C’est absurde. En cas d’accident professionnel, le prix à payer sera très fort, en particulier pour les chômeurs, qui cotiseront désormais sur la base de leur indemnité et plus de leur dernier salaire. Le système par points c’est une forme de vraie fausse capitalisation individualisée. Il va inciter des jeunes de 20 ou 25 ans à ne pas créer leur entreprise, à ne pas changer de travail, pour assurer des points. C’est contraire au dynamisme de l’économie. Pour les femmes, l’écart actuel est très important, en particulier du fait des interruptions pour s’occuper des enfants, mais le système proposé sera en réalité moins favorable que l’actuel à ce niveau. Réhausser le niveau de la retraite minimale à 85 % du SMIC c’est bien, mais on pourrait l’appliquer dès maintenant. Pas besoin d’un système à point pour le faire.
Et il faudrait travailler plus longtemps parce qu’on vit plus longtemps?
Travailler plus longtemps peut être acceptable à condition de tenir vraiment compte de la pénibilité. Le gouvernement n’a fait jusqu’ici aucune proposition sur ce point. De plus la réforme Touraine de 2014 avait prévu d’allonger les durées de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein d’un mois par an jusqu’en 2035 sur la base de prévisions démographiques de l’Insee, qui anticipaient une progression de l’espérance de vie de 1,5 mois par an. On n’est pas du tout sur cette trajectoire-là : sur la période 2013-2018, l’espérance de vie a progressé deux fois moins vite que ça. Aller encore plus loin que la réforme Touraine comme le souhaite le gouvernement pour faire baisser les dépenses de retraites dès 2027 reviendrait à réduire sensiblement le temps qui restera à vivre à la retraite.
Quelles propositions alternatives?
Les différences actuelles entre privé et public sur les retraites sont des points d’appui pour la droite et le gouvernement afin de diviser le salariat. Rapprocher le fonctionnement des systèmes de retraite serait donc utile. Mais il faut le faire autrement. On pourrait imaginer un système de base unifié avec annuités de cotisation et pension calculée sur les meilleures années. Cela reviendrait en gros à changer les règles de calcul des 25 ans du privé et 6 derniers mois du public pour revenir aux 10 ans d’avant la réforme Balladur. Avec bien sûr intégration des primes et négociations salariales dans la Fonction publique.
Quels liens avec d’autres mouvements sociaux à l’étranger? Quelles suites?
Macron veut faire du Thatcher avec 30 ans de retard au moment où les autres ont tous constaté que ces politiques menacent non seulement la démocratie mais aussi le dynamisme économique. L’Allemagne revient en arrière par rapport aux réformes Schröder, notamment sur la situation des seniors. Après la publication de l’étude d’impact et l’avis du Conseil d’État je ne vois vraiment pas comment un démocrate sincère, un syndicaliste sérieux, pourrait désormais défendre une autre position que l’exigence du retrait de ce projet de loi bâclé. Toute autre attitude revient qu’on le veuille ou non à cautionner un coup de force antidémocratique visant manifestement en priorité à faire baisser les retraites futures.
Interview issue de la revue POUR n°222, Février 2020; à lire ici!