André Tricot est professeur de psychologie à l’ESPE de Toulouse. Il conduit ses recherches dans deux domaines : les apprentissages et leurs difficultés ; l’activité de recherche d’information dans les environnements numériques.


Est-ce qu’on est plus motivé quand on apprend avec le numérique ?
Les études empiriques dans le domaine semblent montrer qu’en moyenne oui. Mais c’est une moyenne. Parfois la motivation est améliorée, parfois non, mais les cas où elle est améliorée sont plus comparativement plus fréquents. On comprend aujourd’hui un peu mieux pourquoi cette amélioration n’est pas systématique.
Par exemple, deux collègues néerlandais ont analysé les résultats des études à propos des jeux sérieux : dans ce cas-là, la motivation n’est pas meilleure qu’une même situation d’apprentissage sans jeu sérieux. Peut-être parce que les élèves sont aussi des enfants et quand ils jouent avec de « vrais jeux » numériques ils s’amusent tellement que les jeux sérieux ne tiennent pas la comparaison ? C’est ce que semble montrer une étude auprès de lycéens israéliens. À cet âge-là, certains élèves semblent même comprendre que l’école, c’est fait pour apprendre et la maison, c’est fait pour s’amuser. Quand on arrête de les prendre pour des imbéciles certains élèves peuvent se révéler assez intelligents, bizarrement.
Un autre exemple concerne les tâches. Une étude auprès de lycéens, à Toulouse cette fois-ci, montre qu’une tablette améliore la motivation (par rapport au papier) pour une tâche de lecture, mais pas pour une tâche de rédaction.
Certains lycéens semblent avoir compris ce que les adultes qui propagent le mythe des digital natives* ne sont pas capables de comprendre : savoir utiliser une tablette ou un ordinateur, cela ne veut rien dire! Ce qui compte c’est : quel logiciel pour réaliser quelle tâche ?

Le numérique améliore-t-il les apprentissages scolaires ?
On ne peut pas répondre de façon générale à cette question. Cela dépend à chaque fois de quel apprentissage on parle, pour quels élèves, pour apprendre quoi et dans
quelles conditions. Par exemple, le cas célèbre des exerciseurs numériques montre que ce type de logiciel peut être très efficace si et seulement si on est là pour renforcer des savoir-faire dans des domaines bien définis (où il est possible de définir de façon univoque ce qu’est une bonne réponse et ce qu’est une mauvaise réponse). Mais les exerciseurs ne servent pas à découvrir, ni à comprendre, ni à conceptualiser.
Leur utilité en salle de classe est sans doute très circonscrite. L’utilisation de cartes numériques interactives est sans doute d’un grand apport dans l’enseignement de la géographie. Wikipédia est sans doute utile pour se faire rapidement une première idée raisonnablement bonne d’un sujet qu’on connaît peu, si et seulement si on maîtrise des compétences dans le domaine de l’évaluation de la fiabilité des sources, etc. Chaque type d’outil qui présente une plus-value du point de vue des apprentissages présente une plus-value très spécifique.

Pensez-vous que les élèves d’aujourd’hui qui ont grandi dans un environnement numérique (digital natives) utilisent mieux le numérique pour apprendre ?
Non pas du tout. Aucune donnée empirique, en l’état actuel des connaissances, ne vient étayer ce point de vue, pourtant fort relayé depuis 2001. Les élèves d’aujourd’hui ne sont pas une population homogène, pas plus qu’à mon époque nous n’étions tous lecteurs de bande dessinée. Les adultes et les personnes âgées d’aujourd’hui ne sont pas non plus homogènes dans leurs attitudes ou compétences
vis-à-vis du numérique.
En outre, comme je l’ai indiqué précédemment, dès que l’on s’intéresse aux usages concrets, on constate que ce qui compte ce n’est pas « le numérique », « l’ordinateur » ou même « la tablette » mais bien quelle application est utilisée pour réaliser quelle tâche. Un adolescent peut passer 9 heures par jour à utiliser des outils numériques sans utiliser de logiciel de traitement de texte. Du coup, le jour où
il doit rédiger un texte à l’aide d’un tel logiciel pour la première fois, il est extrêmement malhabile. Un adolescent peut être très efficace pour trouver un article sur Wikipédia tout en ayant des lacunes très importantes sur le fonctionnement éditorial de cette encyclopédie en ligne, qui reste très opaque à plus de 90 % de ses usagers (alors qu’une dizaine de clics suffisent pour comprendre ce fonctionnement).