Pourquoi s’inquiéter d’un désengagement de l’État dans la culture au profit d’une approche régionale ?
Il est souhaitable que l’État soit garant d’une équité territoriale, d’une ligne de conduite concernant les arts et la culture. Aujourd’hui il y a davantage de déconcentration des services de l’État en région et davantage de décentralisation, on donne davantage de compétences, de moyens matériels et humains, aux régions de France.
C’est une bonne chose dans l’absolu. Ce que nous pouvons craindre c’est le recul de la mission régalienne qui consiste à avoir une véritable équité sur le territoire. S’il n’y a pas de ligne de conduite très précise sur ce qu’est l’art, sur ce qu’est la culture, cela peut être interprété de manière différente. Il faut appeler le ministère à plus de
précision.

Plus de précision ?
Nous sommes dans une époque où les entreprises et le consumérisme sont en train de prendre le dessus sur la question artistique. Aujourd’hui, le monde de l’entreprise investit, comme il le dit, les territoires de l’art.
On voit bien qu’il y a à se méfier. Surtout quand il s’agit d’entreprises culturelles
qui ont pour projet d’uniformiser plutôt que de mettre en avant la singularité des individus, et encourager l’esprit critique, le discernement.
Alors nous faisons des petits signes à notre ministre de la culture pour dire qu’il est le ministre de la création, le ministre du service public, le ministre du champ symbolique lié à la transmission et à la formation plutôt que le ministre du signe. C’est une façon de rappeler l’histoire et de ne pas piétiner le travail extraordinaire
et la chance que nous avons d’avoir eu ce ministère. Nous lui demandons une feuille de route, peut-être même une loi d’orientation.

Cela menace-t-il aussi la création ?
Depuis ses origines, la création s’est essentiellement appuyée sur la recherche, l’invention, et éventuellement la formation mêlée à cette recherche. Si l’on considère seulement la diffusion des œuvres, les responsables des collectivités influent beaucoup sur les nominations à la tête des centres dramatiques et des scènes nationales. S’il n’y a pas cette feuille de route centralisée, une nomination peut être plus encline à choisir une directrice ou un directeur qui serait davantage capable de faire venir plus de monde, qui privilégierait le divertissement, en tout cas autre
chose que la recherche et la formation, qui font partie de la mission des centres dramatiques par exemple.
Ces directeurs feront appel à des artistes moins créatifs parce que davantage en phase directe avec le public, à qui on donnera ce qu’il aurait envie de recevoir.

Le mélange des amateurs et des professionnels, est important pour vous, pour l’éducation populaire. Expliquez-nous.
Dans notre esprit, l’amateur, celui qui aime aimer, c’est une qualité. Ce qui a été déprécié c’est l’amateurisme.
L’amateur c’est l’enfant, qu’est-on d’autre qu’un amateur lorsqu’on est enfant, adolescent, jeune adulte ? De ce point de vue on peut acquérir des savoir-faire qui, pour certains, deviennent des métiers. L’amatorat est déjà une très belle chose sur laquelle on s’appuie quand on veut former des professionnels.
Les amateurs on les trouve beaucoup dans le corps enseignant. Ils ont un métier, celui de transmettre, mais ils ont parfois une activité de passion.
Quand on est passionné, on transmet beaucoup mieux. Il y a donc intérêt à trouver des lieux aux amateurs pour leur permettre de se rencontrer et d’acquérir des capacités supplémentaires.

Parlez-nous des Rencontres Internationales du Théâtre en Corse, que vous avez créées en 1998…
Les plus de 25 ans qui veulent faire du spectacle, en faire une profession ne peuvent plus entrer au Conservatoire.
C’est pourquoi j’ai créé l’ARIA, qui est un autre endroit de formation continue. L’art dramatique est un outil formidable qui permet de concentrer tous ces fondamentaux, d’écoute, d’attention à l’autre, de respect de la singularité de l’autre,
de sa propre singularité. C’est pourquoi, devenu un acteur connu, j’ai voulu m’engager dans le combat, plutôt que dans la résistance, dans l’affirmation de valeurs qui permettent à chacun plus d’égalité, plus de dignité.