Patrick Weil est directeur de recherche au CNRS et enseigne à l’Université de droit de Yale.
Dernier ouvrage publié : Le sens de la République (Éditions Grasset).


Comment caractérisez-vous notre régime politique ?
Notre régime est marqué par un décalage entre la lettre et la pratique des institutions. Selon le texte de la constitution de la Ve République, notre régime est parlementaire : la loi est faite par le Parlement, le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale et dirige la politique du pays, et le Président de la République intervient seulement comme garant des institutions et comme arbitre en cas de crise institutionnelle. Il est aussi chef des armées et nomme aux principales hautes fonctions publiques. La réalité est toute autre.

La réforme de 1962 n’a-t-elle pas, dès le début, porté atteinte à ce régime parlementaire ?
La réforme de 1962 qui a permis la première élection présidentielle au suffrage universel en 1965 a en effet donné la primauté au Président.
Il se trouve cependant que le Président était alors élu pour sept ans. Une élection législative intervenait donc obligatoirement au cours de son mandat puisque les députés étaient – et sont toujours élus – pour 5 ans. Le Président savait donc qu’à un certain moment de ce mandat, le peuple allait être consulté et peut-être ne pas lui donner une majorité qui lui plaise. Cela le contraignait d’abord à se mettre un peu au-dessus de la mêlée car il voulait pouvoir rester en fonction, et il devait aussi se tenir prêt à cohabiter avec un gouvernement qui ne serait pas de son bord.
Il y a eu trois cohabitations : en 1986-88 Chirac-Mitterrand, en 1993-95 : Balladur-Mitterrand. Enfin la dernière la plus longue, sous Jacques Chirac président entre 1997 et 2002, Lionel Jospin, Premier Ministre de gauche, qui a montré comment on pouvait faire fonctionner la Constitution dans un vrai régime parlementaire. La cohabitation marchait bien et était populaire. Le plus incroyable, du point de vue de l’histoire et des idées politiques, c’est que c’est Lionel Jospin qui a initié la réforme du quinquennat présidentiel et qui a inversé les élections législatives et présidentielles. Il a voulu renforcer encore le pouvoir présidentiel, lequel avait été rééquilibré sous son propre quinquennat de premier ministre. La gauche française a alors inversé ses propres valeurs, hostiles au pouvoir personnel, et elle le paye aujourd’hui. Elle crie à la VIe République alors que la VIe est déjà dans la Ve si on lit la Constitution telle qu’elle est et telle qu’elle a été pratiquée entre 1997 et 2002.

La synchronisation des calendriers verrouille-t-elle le système sur le présidentialisme ?
Elle fusionne le pouvoir de l’Assemblée élue dans la foulée du Président entre les mains de ce Président.
Très vite ce Président devient impopulaire auprès des Français. Jamais un Président quinquennal n’a pu faire deux mandats, alors que Mme Merkel, dans un régime parlementaire classique, en sera bientôt à son quatrième mandat… 
Les primaires de la gauche et de la droite ont été conçues pour relégitimer la présence dominante des deux principaux partis de gouvernement au pouvoir, mais là en 2017 ils ont été éliminés du second tour.
Malgré la détermination du nouveau Président, malgré le bonus que lui donne son élection pour les législatives, je pense que le système est durablement bancal. On est dans une transformation qui a démarré avec l’élimination des candidats des grands partis et qui va se prolonger soit parce que le nouveau Président ne pourra pas maîtriser l’Assemblée, soit parce que, s’il la maîtrise, cela va accélérer le crash de la présidentialisation. Les Français l’apprendront à leurs dépens s’ils donnent une majorité de députés au parti-relais du Président.

Est-ce une forme d’optimisme pour le retour d’un régime plus parlementaire ?
Je suis optimiste, car le régime parlementaire est là dans la Constitution.
Il peut advenir dès le 18 juin si les citoyens ne donnent pas tous les pouvoirs au nouveau Président.
Les partis ont un rôle inscrit dans la Constitution, ils sont les garants d’une alternance démocratique. Ils ont un rôle à jouer autour des idées qu’ils portent. Les idées ne sont pas autour d’un pouvoir personnel.
Gambetta disait que dans la République on ne dit pas « vive moi », « vive une personne », on dit « vive une idée ». Les citoyens doivent regarder dans chaque circonscription qui se présente, évaluer objectivement le travail de leur député(e) et se donner les moyens de donner à l’Assemblé Nationale une représentation diverse qui sera une garantie démocratique.