Quel est globalement le poids de l’extrême droite en Europe et comment l’expliquer ?
Tout dépend de quoi on parle, des idées ou du nombre de militants ? Ces derniers sont relativement peu nombreux au niveau européen, en France cela représente environ 5 000 individus radicaux, capable de passer à l’acte. Avec les militants de formations comme le RN, le chiffre grossit nécessairement. Si les radicaux sont peu nombreux, les militants eux augmentent, reflet des scores électoraux nationaux, entre 3 et 20 % globalement suivant les pays. S’y ajoute la diffusion des thématiques d’extrême droite, qui peut être forte sans qu’il y ait pour autant un tissu militant particulièrement dense. En France, les thèses identitaires, anti arabo musulmanes se diffusent massivement depuis le 11 septembre 2001, dans le contexte très porteur de peur des attentats islamistes. Dans les années 90, la société française avait fait preuve d’une plus forte résilience après les attentats liés au GIA, comme à Saint-Michel. Depuis le 11 septembre, l’équation musulman égale terroriste portée par l’extrême droite s’est banalisée, et encore davantage après le drame du Bataclan. Paradoxalement, des années 60 aux années 90, tout un pan de l’extrême droite affichait de la sympathie pour l’Islam et le monde arabo musulman, par antisémitisme, rejet des États Unis et assimilation de l’Islam à des pratiques rigoristes éloignées du consumérisme occidental, à tel point qu’on évoquait à l’époque un « tiersmondisme d’extrême droite ». Les conséquences sociales des politiques libérales, les discours d’une partie de la Droite – et notamment de Nicolas Sarkozy – sur l’identité nationale ont largement contribué à banaliser les idées identitaires.
La guerre en Ukraine peut-elle affaiblir une extrême droite traditionnellement complaisante envers le régime de Vladimir Poutine ?
L’affaiblir, non. La gêner, oui. Depuis le début des années 2000, Poutine est vu comme celui qui a remonté la Russie après la chute de l’URSS, une sorte de De Gaulle russe capable de tenir tête aux États-Unis. Outre sa fascination pour les hommes à poigne, dans la tradition bonapartiste, la géopolitique de l’extrême droite est multipolaire: les États-Unis restent l’ennemi, ainsi que les néoconservateurs des années 90. Cependant l’agression non justifiée de l’Ukraine rebat les cartes : ces militants perdent leur héros, la plupart des cadres identitaires soutiennent les Ukrainiens. Sauf Zemmour avec son prurit napoléonien… Même Marine Le Pen a basculé, et ce en dépit du financement partiel du RN par des banques russes… L’extrême droite n’est cependant pas affaiblie : populisme et démagogie permettent de humer l’air du temps et de sentir le vent ! L’extrême droite va donc être gênée idéologiquement mais pas affaiblie, la thématique la plus importante reste l’Islam.
En France, la possibilité existe d’un nouvel accès de l’Extrême Droite au second tour de l’élection présidentielle : comment l’expliquer et quelles seraient selon vous les conséquences d’une victoire de l’ED ?
Les élections présidentielles sont l’occasion d’une profonde recomposition du paysage politique français avec le grave affaiblissement de partis traditionnels comme le PS ou LR, la montée de figures populistes de droite ou de gauche. S’y ajoute le désintérêt croissant et massif des électeurs pour les partis et le risque d’un vote contestataire. Marine Le Pen offre certes aujourd’hui une image plus modérée que celle de Zemmour, mais quelles sont au juste ses idées? Elle ne semble pas rivée à un logiciel politique aussi précis que celui de son père. Une plasticité ou une démagogie qui expliquent d’ailleurs le départ des plus radicaux vers Zemmour. Les cadres qui ont rejoint ce dernier, comme Jean Yves le Gallou, inventeur de la préférence nationale, se retrouvent dans l’obsession anti immigrés du polémiste.
Interview issue de la revue POUR n°239, mars 2022; à lire ici!