« On doit travailler plus longtemps car on vit plus longtemps. »
FAUX !
Cet argument qui semble emprunter au bon sens le plus élémentaire est le plus utilisé pour justifier le recul de l’âge de départ en retraite. De retour à chaque réforme, il semble insubmersible. Pourtant, c’est une contre-vérité historique : depuis plus d’un siècle, on vit de plus en plus longtemps et on travaille de moins en moins longtemps.
On ne peut comprendre la question des retraites que si l’on s’inscrit dans la lutte pour la réduction du temps de travail qui a été un cheval de bataille central du mouvement ouvrier depuis le milieu du XIXè siècle. Interdiction du travail des enfants, scolarisation des jeunes, extension de la retraite, baisse de la durée annuelle du travail avec la réduction du temps de travail hebdomadaire, congés payés… À titre d’exemple, la durée annuelle du travail dans les principaux pays développés a baissé de plus de 25% depuis 1950. La diminution du temps de travail dans le cycle de vie est une des contreparties des gains de productivité du travail : ceux-ci se partagent entre RTT, salaires et profits. L’acharnement du patronat et de la droite contre les 35 heures est de même nature que celui qui veut reculer l’âge de la retraite.
Toutes les études, notamment celles de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), montrent que les travailleurs les plus fragiles n’ont souvent pas d’autre choix que celui de partir à la retraite avec une pension incomplète, contraints qu’ils sont par un état de santé défaillant, souvent dégradé par des conditions de travail difficiles, par la politique des entreprises qui cherchent à se séparer des travailleurs les plus âgés, ou encore par le chômage qui les exclut de fait du marché du travail.
La majorité des salarié-es du privé s’arrêtent de travailler avant l’âge légal de la retraite, de sorte que le report de l’âge de la retraite a pour eux l’effet d’allonger le temps d’attente entre la fin de carrière et la retraite. Celles et ceux qui ne peuvent pas travailler plus longtemps (entre un quart et la moitié de chaque génération) sont placés devant un dilemme : avoir une pension plus faible ou une période plus longue sans emploi ni retraite. N’étant plus actives et pas encore retraitées, ces personnes vivent avec un statut social dévalorisé : ne touchant que les minimas sociaux, des allocations chômage ou des pensions d’invalidité, ces personnes, essentiellement des femmes, sont pour un tiers en dessous du seuil de pauvreté. De plus, les économies réalisées au budget de la Sécurité sociale par le report de l’âge de départ en retraite sont en partie compensées par des dépenses supplémentaires au titre de l’assurance chômage et par l’augmentation des arrêts maladie chez les seniors.
L’injonction à travailler plus longtemps pose deux questions. D’abord, celle du travail dont l’intensité augmente du fait des nouveaux modes de management. À la pénibilité ancienne de certains métiers s’ajoute un travail privé de sens retenu dans les mains des experts. Tout cela concourt à voir dans la retraite une promesse de vie meilleure et d’émancipation. Puis, cette promesse est elle-même menacée par les «réformes» successives des retraites qui réduisent les « meilleures années» (l’espérance de vie en bonne santé) et décalent la retraite vers le grand âge.