L’école face au « choc » du tri social (POUR n°256)

Après de petites retouches ces dernières années, le gouvernement entend bien réécrire l’intégralité des programmes scolaires dans le cadre du « choc des savoirs » et la poursuite de la logique des politiques éducatives suivies depuis 2017 en standardisant à la fois les apprentissages comme les pratiques enseignantes. Cette double standardisation transformerait profondément le système éducatif, qui privilégierait le formatage en lieu et place d’acquisition de savoirs émancipateurs tout en dépossédant les enseignant·es de leur professionnalité.

Les différentes lettres de saisine du ministère au Conseil supérieur des programmes (CSP) sont sans équivoques sur cette perspective. Et entendent aller vite avec de nouveaux programmes de cycles 1 et 2 dès la rentrée prochaine puis de cycle 3 en septembre 2025 et enfin de cycle 4 l’année suivante. Deux ans pour tout changer. Les notes d’intention du CSP de révision des programmes de français et de mathématiques en cycles 1 et 2 tracent la perspective d’un parcours type réglé, voire presque minuté, des apprentissages et des enseignements. Les écarts à ce rythme d’apprentissage standard, liés notamment aux différences de rythmes d’acquisition selon les élèves, renverront désormais à une difficulté considérée comme un échec, voire un trouble ou un handicap. La place de l’erreur, pourtant inhérente aux apprentissages, serait ainsi stigmatisée, participant à une perte de confiance en soi et à une peur de se tromper freinant le tâtonnement et la créativité. Cette course au programme, voire à la précocité avec l’introduction des fractions et des décimaux dès le CE1 comme du préapprentissage du décodage dès la maternelle, se doublerait d’un contexte d’évaluations permanentes, à minima annuelles, et déterminantes dans la perspective de la composition des groupes de niveau dès l’entrée au collège.

Cette mise en concurrence implicite des élèves renforcerait les situations d’échec scolaire, « sanctionnées » par un redoublement rendu plus facile mais toujours aussi inefficace, pour celles et ceux qui n’acquerraient pas dans les temps impartis les savoirs normés attendus pour un élève fictif stéréotypé. Sur les contenus, la mise en conformité des attendus de fin de cycles 1 et 2 avec les items des évaluations nationales déboucherait sur des savoirs de bas niveaux et mécaniques, entre la référence quasi unique au manuel de la méthode de Singapour en mathématiques qui promeut un apprentissage du type « j’apprend, j’applique » et la priorité à la course au décodage en lecture avec la fluence. Deux exemples loin d’une recherche collective au sein de la classe de diverses méthodes de résolution, d’interprétations, de confrontations et de constructions partagées. Sans compter que tous les élèves n’auront pas les mêmes possibilités de compléter ces compétences mécaniques. Ces programmes conforteraient ainsi la restitution plutôt que la compréhension, au détriment des élèves issus des classes populaires qui se projettent plus facilement sur ce type de conception « traditionnelle » de l’école. Plutôt que de travailler à déconstruire les malentendus sur les attentes de l’école, le ministère entend en changer ses attendus, conduisant à un nouveau renforcement des inégalités.


Zoom : Vers un socle commun très appauvri

Le socle commun de connaissances, de compétences et de culture serait refondu et organisé autour de 4 grands axes, des « connaissances et compétences fondamentales » en français et en mathématiques, des « compétences psychosociales » et des « repères de culture générale ». Certaines disciplines sortent ainsi du socle commun, n’étant plus considérées comme indispensable à son acquisition. Pour « compenser » cet appauvrissement à venir, suite à une focalisation obstinée sur les prétendus fondamentaux, un domaine de culture générale, fourre-tout serait créé. Une culture générale détachée des disciplines, elle – même qui risque fort de ressembler à un « smic » culturel restreint à quelques éléments de patrimoine réducteurs et contestables. Il s’agirait bien d’un socle réduit à un minimum pour toutes et tous, proche de la philosophie de celui de la loi Fillon de 2005.

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