L’école face au « choc » du tri social (POUR n°256)

Par une mise au pas des élèves comme des enseignant·es, le gouvernement s’engage dans une standardisation profonde de l’École. Méthodes imposées et pilotage par les évaluations deviennent des outils pour imposer un nouveau modèle d’enseignement qui renonce au « toutes et tous capables ».

Le « choc des savoirs » prévoit en effet une généralisation des évaluations standardisées du CP à la Seconde. Le pilotage « pédagogique » devant accompagner cette généralisation relèvera d’un conseil académique des savoirs fondamentaux (CASF) tout juste créé. Sa mission : piloter la priorité donnée aux « fondamentaux » en se fondant sur l’analyse des résultats aux évaluations nationales et préconiser outils supports et démarches et de pratiques « efficaces ». Pour diffuser ces « bonnes pratiques » et améliorer les résultats, le CASF s’appuie sur les visites des Inspecteurs ou Inspectrices de l’Éducation nationale (IEN) et des Inspecteurs ou Inspectrices pédagogiques de région (IPR) dans les classes. Ainsi les IEN sont invités à définir leur action en exigeant des adaptations aux résultats et les enseignant·es à utiliser les guides ministériels. Loin d’être au service des apprentissages, cette évaluation imposée des élèves est l’outil d’un pilotage qui dépossède les acteurs et actrices de terrain de leur pouvoir d’agir. Si l’activité d’évaluation est importante pour savoir où en sont les élèves pour les aider dans leurs apprentissages, la multiplication des évaluations normatives comme moyen de pilotage du système éducatif ne poursuit pas cet objectif mais bien celui d’un contrôle des pratiques enseignantes et du tri des élèves. Un cadre était déjà explicité dans les notes 2018 de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) portant sur les évaluations de CP et CE1. Le modèle d’enseignement est donné : il s’agit de conduire les évaluations en début d’année, l’objectif étant de « déterminer comment accompagner au mieux un élève… Ce dispositif s’inscrit dans une stratégie appelée “réponse à l’intervention” ». Ce dispositif issu du courant de l’éducation fondée sur les données probantes, très développé dans les pays anglo-saxons, s’appuie sur un enseignement construit à partir d’expériences, où le répérage des élèves est fait lors d’évaluations régulières suivies d’entrainements intensifs sur des compétences isolées hors du groupe classe. Ce type de gestion aura des conséquences négatives sur le métier enseignant, comme l’a démontré le chercheur Christian Maroy au Québec dans un bilan : obsession de l’efficacité, culture du résultat, diminution de l’autonomie professionnelle, négation de l’expertise. Mais aussi sur les élèves avec une individualisation apprentissages qui nie leur dimension sociale et leurs dynamiques collectives, faisant porter toute la responsabilité de l’échec ou de la réussite sur l’individu. C’est aussi une façon de justifier la transformation des apprentissages en protocoles à appliquer, dépossédant les enseignant·es de leur pouvoir d’analyse et d’action.

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